La Couleur des Sentiments

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"J'avais toujours pensé que la folie est quelque chose de sombre et d'amer, mais elle peut être comme une pluie bienfaisante si on s'y abandonne."

-Miss Skeeter 

En quittant la grange ce matin, j'ai compris que quelque chose été sur le point d'arriver. En vérité, je l'ai compris hier soir mais je me suis voilée la face.

Depuis une semaine, je ne la quitte qu'en début d'après-midi. J'ai le droit de prendre une douche et de profiter de la visite de Karim. Il est venu tous les jours. Seul, puis avec son oncle, en suite avec ses tantes. Dès son départ, Amir se fait un plaisir de m'enfermer à nouveau dans la grange.

Hier, je n'ai pas eu la possibilité de sortir avant la tombée de la nuit. Je commençais à désespérer de devoir passer toute la journée là-bas. Sofian continue de m'envoyer des livres, mais l'ennuie reste le pire. Finalement, mes tantes sont venues me chercher. Il y avait beaucoup de monde à la maison. Dans le salon, dans la cuisine. Pas seulement mes tantes, mais mes cousines également, et même des voisines que je ne connais que de vu. Elles préparaient une quantité aberrante de nourriture.

La soirée s'est déroulée tranquillement. J'aidé à la préparation de la nourriture, me mêlant au chant traditionnelle dans le salon. Puis mes mains ont été recouvertes de henné.

Ouais, je me suis carrément voilée la face.

Aujourd'hui, c'est la même agitation que la vieille qui me surprend, sauf qu'il semble y avoir encore plus de monde. Les gens me disent bonjour, me félicitent. J'ai droit à des sourires, mais aussi à des regards noirs.

C'est l'un des paradoxes chez les gens de ma famille. Ils sont tous beaucoup dans l'accueil, dans l'accompagnement. On se soutient les uns, les autres. C'est pour cela qu'il y a autant de monde. Mais dans le même temps, la jalousie crée insidieusement des clans, au sein de celle-ci. Mes cousines ne m'aiment pas, et l'arrivée soudaine de mon mariage avec l'un des meilleures partis de la Kabylie ne va pas aider. Pourtant elles sont toutes là et mon mariage sera le meilleur argument pour les leurs.

Oui, parce que c'est ce qui va avoir lieu aujourd'hui. Mon mariage.

Je ne réalise pas, mon cerveau fait une sorte de blocage. J'ai lu quelque part qu'on appelle cela une fuite dissociative. Mon corps est présent, mais mon esprit est ailleurs.

On me lave, on m'habille, on me maquille. Je ne pose aucune question.

-T'es tellement belle ma chérie, s'exclame Yasmine, la sœur ainée de mama dont je porte le nom.

Sans attendre de réponse de ma part, elle s'attaque à mes cheveux. Ils sont trop longs pour laisser passer la coiffe sans être au préalable tressés. Alors Yasmine s'acharne sur la longue chevelure noire tout en me racontant son propre mariage.

-Tu as de la chance. Karim est un gentil garçon et puis tu le connais déjà.

Je retiens un ricanement. Connaître Karim ? Je ne crois pas non. Certes, il est toujours très aimable avec moi. Il me regarde dans les yeux quand il me parle et n'emploie pas ce ton condescendant, qu'emploient les hommes de ma famille. Surtout Amir en réalité. Mais je ne considère pas que je le connais, et encore moins que j'ai de la chance.

Il y a quelque chose dans son regard, que je ne parviens pas à déchiffrer.

Mes yeux glissent sur le miroir face à moi. Mama Yasmine a raison sur une chose. Je suis jolie comme ça. Depuis petite, j'ai toujours rêvé de ce moment, de mon mariage. Mais je n'avais jamais envisagé un tel scénario. Tout a été fait dans la pure tradition kabyle. La robe que je porte est composée de plusieurs éléments. Il y a d'abord la robe en elle-même. Blanche au niveau de la jupe qui m'arrive au pied, puis coloré au niveau du buste. C'est un mélange d'orange, de jaune et de rouge. Par dessus une cape est déposée sur mes épaules. Elle couvre mes bras ainsi que toutes parties de peau laissées visible par les manches de la robe.

FUGAZIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant