➵ Chapitre 24 ~ Luke

308 24 10
                                    

    Trente-quatre jours. C'était le nombre de jours que Luke devait encore attendre avant de revoir Emilie. Il avait bondi de joie en voyant son message il y a tout juste trois jours. L'idée de la revoir lui provoquait un sentiment de pur bonheur, chose qu'il n'avait pas ressentie depuis ce qui lui paraissait être des siècles. Des frissons parcouraient son échine, et une douce chaleur naissait dans son bas-ventre. Elle envahissait avec lenteur son corps tout entier, comme la vapeur glisserait sur le verre d'une fenêtre, laissant perler de fines gouttes d'eau.

C'était comme s'il brûlait. Et c'était ce qui lui faisait tenir le coup. Les cours, les devoirs, le travail étaient bien plus difficiles que ce qu'il avait imaginé et lui prenaient bien plus de temps. Néanmoins, il songeait que cela lui permettait d'arrêter de penser à sa sœur, dont la date de disparition approchait lentement. Le mois de septembre promettait d'être difficile. C'était loin, certes, mais Luke restait obnubilé par cette date, qui le terrifiait. Il voulait tellement effacer ce jour funeste de sa mémoire, et se réveiller amnésique ; ou alors remonter le temps et corriger ses erreurs. Vivre avec cette peur perpétuelle, cette sombre mélancolie oppressante dont il n'arrivait pas à se séparer, l'étouffait. Il trouvait son seul réconfort dans le travail, et le repos lorsqu'il était épuisé.

Il n'y avait que quand il fermait les yeux qu'il n'était pas hanté par ses cauchemars. Il dormait bien souvent d'un sommeil sans rêves, ce qui lui permettait de souffler et de se reposer. Mais, dès le réveil, sa souffrance lui revenait tout d'un coup, comme si on lui claquait violemment une porte à la figure.

  Luke se rassurait dans le travail, et il était heureux de voir que ses efforts portaient leurs fruits. Il se consolait en constatant qu'il utilisait ses insomnies à bon escient. Ses notes étaient toutes excellentes et frôlaient la perfection. Il se demandait même comment il pouvait aussi bien réussir en dormant si peu. Mais, il fallait bien qu'une once de positivité restât dans sa vie.

— Sortez une feuille, claironna le professeur d'histoire, tirant brusquement Luke de ses réflexions

— Moi qui pensais qu'on y échappait, grommela Mike, assis à côté du jeune homme, ses cheveux rouges en bataille

Luke haussa les épaules et sortit machinalement une feuille de sa pochette, écrivant nom, prénom, classe et date.

— Je n'ai pas appris mon cours, chuchota précipitamment Caitlin, paniquée

— Il est facile, répondit simplement Luke, l'esprit encore embrumé

— Tu sais toujours tout, grogna Mike, et je sais aussi que tu ne me laisseras pas copier...

Après avoir rapidement écrit les questions dictées par l'enseignant, Luke griffonna rapidement les réponses qui lui venaient sans avoir besoin d'y réfléchir et se replongea aussitôt dans ses pensées.

🎶🎶🎶

  Son cœur avait été déchiré. Tout d'un coup, tout s'était écroulé. Son monde avait sombré en même temps que lui. Une brèche s'était formée en lui, et il avait eu l'impression de mourir à l'intérieur. Ce vide, cette brèche était demeurée en lui jusqu'à ce qu'il rencontrât Emilie et en tombât amoureux. Dès lors, ses murs étaient tombés d'eux-mêmes, et son vide s'était presque entièrement comblé.

  Il se rappelait très bien de ce sentiment, celui d'être impuissant face à une situation, celui de se sentir inutile et coupable. Il avait eu la vague impression qu'il était en train de faire un cauchemar, et qu'il allait se réveiller. Pour lui, c'était impossible, cela n'arrivait qu'aux autres. Puis, il avait plongé. Le chagrin, l'angoisse et les insomnies étaient arrivés d'eux-mêmes, et il s'était muré dans le silence et la solitude. Quoi de pire que de voir ses propres parents sombrer eux aussi ? Qu'y avait-il de pire que de perdre ses repères au moment où on en avait le plus besoin ? Qu'y avait-il de pire que d'entendre sa mère sangloter la nuit, lorsqu'elle pensait qu'il dormait ? Et d'entendre son père étouffer ses sanglots dans son oreiller pour ne pas risquer de réveiller son fils ?

Tout pour la musique (2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant