➵ Chapitre 10

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    Des fleurs. Il pleuvait des fleurs aujourd'hui. Leur odeur m'avait enivrée sur le chemin de la maison de Mike, ou du moins tâchais-je de m'en convaincre. Peut-être qu'imaginer des pétales à la place des perles d'eau qui roulaient sur mes joues me permettrait de les arrêter dans leur course effrénée. Je ne savais même pas pourquoi la pluie tombait de mes yeux aujourd'hui.

Au beau milieu d'une rue fleurie, elles disparurent. Je pouvais maintenant me reprendre. J'avais pensé à chanter Boulevard Of Broken Dreams. C'était quand même incroyable qu'en l'espace de quatre ans nous ne l'ayons jamais chantée ! Alice affirmait que c'était une bonne idée et Thomas avait passé en revue toutes les covers de la chaîne pour vérifier qu'elle n'y était pas déjà, tellement il ne nous croyait pas. Je m'étais promis d'ignorer Clara, si elle était là, et d'éviter le sujet.

Alors que nous n'étions plus qu'à une rue de chez Mike, je m'arrêtai brutalement et sortis mon téléphone pour observer mon reflet. Je soupirai : mon mascara avait coulé sur mes joues et j'avais les yeux rouges, pire qu'un raton-laveur égrotant ! Je fouillai dans mon sac à main et en sortis un mouchoir. Je devais avoir un espèce de sixième sens, un peu comme Spiderman, puisqu'aujourd'hui j'étais sortie avec mon correcteur et mon mascara.

— Tu répares les dégâts ? se moqua gentiment Thomas

— J'essaie.

Hier, je m'étais énervée pour rien. Avant, je n'étais pas comme ça. Qu'est-ce qui m'a rendue aussi soupe au lait ? Moi-même je ne le savais pas. Lise pensait qu'elle m'avait influencée. Je pensais surtout qu'il fallait que j'apprenne à me détacher des choses, et à arrêter de prendre tout à coeur. J'avais tellement pleuré que c'était miraculeux que je ne me sois pas littéralement noyée dans mes larmes. C'est vrai, ce matin j'avais de l'eau jusqu'aux chevilles ! 

   Maintenant que je ne ressemble plus à un vieux panda aigri, on peut reprendre la route, songeai-je en recommençant à marcher sous le silence étonnant d'Alice. D'habitude, elle ne se serait pas gênée pour m'embêter. Quelque chose clochait, et je décidai de régler la chose avec plus ou moins de subtilité :

— Tu es bien silencieuse, Alice. Que se passe-t-il ?

— Je ne suis plus sûre que ça soit une bonne idée, soupira-t-elle. On n'a pas vraiment pris le temps d'y réfléchir, ça va trop vite.

— C'est ta seule chance, Alice, notre seule chance, corrigeai-je, alors pour une fois, je te demande d'être impulsive et de foncer tête baissée.

— Décidément, Emmy, le manque de sommeil t'empêche de trop penser. Pour une fois, ajouta-t-elle, en riant légèrement.

  Ah, si elle savait ! Depuis que nous avions parlé à Lise je n'avais fait que de ressasser la journée d'hier. Et toutes celles d'il y a deux ans, aussi. Enfin, on passera bientôt à trois ans. Et puis, j'avais pensé à Clara aussi, à son comportement bizarre en arts plastiques lorsque nous étions à Saint-Mathew. Comment ai-je pu être aussi aveugle ?

  Et évidemment, j'avais pensé à Luke. Malheureusement. Solange m'a un jour confié que, dans son cas, la meilleure technique pour oublier quelqu'un est de rencontrer quelqu'un d'autre. Ça pourrait marcher. Si je n'étais pas aussi sociable qu'un flamant rose en fin de vie évidemment. Oh, qu'est-ce que je l'aimais, Solange !

   Devant moi, Alice et Thomas discutaient de comics, débattant cette fois entre Aquaman et Captain America.

— Sérieusement ! m'écriai-je, cette comparaison n'a pas lieu d'être !

Mon cousin de tourna vers moi, goguenard, et lança :

— Tu vois Alice, je t'avais dit que ça la ferait atterrir parmi nous !

Tout pour la musique (2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant