➵ Chapitre 96 ~ Caitlin - partie 3/3

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Les deux jeunes femmes serpentaient silencieusement dans la nuit claire. Quelques rares voitures circulaient encore, et la clameur lointaine de la ville parvenait tout de même à leurs oreilles. Caitlin se sentait dubitative quant à l'issue de cette soirée : elle avait toujours su qu'Eileen nourrissait des sentiments pour Luke, mais avait pensé à tort qu'ils étaient devenus inexistants après sa rencontre avec Glenn. Et puis, avoir revu Gaël l'avait révulsée plus qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle respirait à nouveau, maintenant qu'elle était loin de lui.

Des souvenirs désagréables remontaient dans sa mémoire : la façon dont il l'avait étouffée, pris soin de détruire tout ce qui faisait d'elle ce qu'elle était, et dont il avait essayé de la contrôler. Il avait toujours su quoi dire, comment s'y prendre pour obtenir d'elle ce qu'il voulait, et il lui arrivait encore de s'en vouloir pour ne pas l'avoir remarqué. Elle sentait encore ses mains sur son corps, parfois, sa bouche sur la sienne. Et ça lui donnait presque la nausée. C'était décidé, c'était la dernière fois qu'elle le voyait.

Il ne lui avait presque pas parlé - pour son plus grand bonheur - et avait passé la soirée à montrer à tout le monde à quel point il avait mauvais fond. Encore une fois, Caitlin se demanda comment elle avait pu passer à côté de son comportement. L'amour, même adolescent, rendait complètement aveugle.

Avec le recul, Caitlin était heureuse d'avoir eu le courage de rompre avec lui. Elle voyait à présent à quel point leur relation n'aurait jamais fonctionné, et à quel point tous deux prenaient une mauvaise pente. Elle était même soulagée qu'il ne fasse plus parti de sa vie d'aucune façon : il ne se passait pas une journée sans qu'elle songe à quel point elle se sentait légère, libérée de son poids et de son ombre, de ses griffes qui cherchaient tout le temps à l'enfermer.

Il y avait même des jours où elle se demandait si elle était vraiment faite pour être en couple, vivre, aimer et mourir aux côtés de quelqu'un. Elle voulait être son propre chef, ne dépendre de personne, n'avoir de comptes à rendre à personne et surtout être indépendante. Même si Zoey lui avait prouvé le contraire, elle persistait à associer le couple à la perte d'indépendance. A ses yeux, être en couple, c'était abandonner tout espoir d'être elle-même, de réaliser ses rêves et de s'accomplir toute seule. Cela n'apportait que des déceptions.

— Et ça assèche le cœur, marmonna Alice d'une voix sourde.

— Hein ? fit Caitlin

— Tu parles toute seule depuis cinq bonnes minutes, expliqua Alice

— Ah, soupira Caitlin. Désolée.

— Ne le sois pas. Je ne veux plus jamais être amoureuse non plus.

— Tu dis ça parce que tu es triste, objecta Caitlin, avec douceur

— Et toi, répliqua Alice, tu es triste ?

— Non, soupira Caitlin. Nostalgique, peut-être. Mais pas triste.

Alice ne répondit rien et Caitlin ne trouva rien à ajouter. Elles arrivèrent devant la maison silencieuse de Caitlin et elle tourna la clé dans la serrure avant de s'effacer pour laisser Alice entrer. Elles montèrent dans la chambre de Caitlin sur la pointe des pieds. La jeune femme prêta à Alice des vêtements et s'allongea sur son lit à ses côtés, l'air un peu perdue.

— Pour une fois, fit Alice sur un faux ton enjoué, Emmy n'a rien à voir avec ce qu'il s'est passé ce soir. C'est bien la première fois. C'est une vraie teigne quand il s'agit de Clara et Luke, mais elle n'a rien dit ce soir.

— Sans doute parce qu'il n'avait rien à voir avec cette histoire non plus, répondit Caitlin

— Il n'a pas repoussé Eileen pour autant, objecta Alice. Je ne le comprends pas.

— Vu son état d'ébriété, je doute fort qu'il aurait pu repousser qui que ce soit, le défendit Caitlin

Alice haussa un sourcil :

— Crois-moi, j'ai déjà vu des gens soûls, et ils sont conscients de ce qui se passe. Certains ont leurs réflexes décuplés, comme Thomas, et d'autres... d'autres les ont amoindris et ne se rendent pas compte de ce qu'ils font. Je déteste ça, conclut-elle en faisant la moue.

Son ton était sec et Caitlin songea que le souvenir de son amie Solange devait la hanter.

— Bref, il aurait pu la repousser, répéta Alice d'une voix ferme.

— Peut-être, concéda Caitlin. Qui sait ce qui lui est passé par la tête ? Mais ça n'a pas duré très longtemps.

   Il avait eut l'air tellement dans les vapes après ce baiser que Caitlin ne voyait pas comment il aurait pu faire quoi que ce soit. C'était comme si il avait passé toute la soirée déconnecté, perdu dans les landes de Dieu seul sait quelles pensées, et que ce baiser l'avait soudainement débranché et ramené parmi les vivants.

— Suffisamment pour faire mal à Emmy, objecta durement la jeune femme. J'ai très bien vu son regard. Elle refuse de l'admettre mais elle est complètement perdue et il ne lui facilite pas la tâche.

— Il doit l'être tout autant, dit posément Caitlin

— Ce n'est pas une raison. Il n'a qu'à le lui dire. Elle ne peut pas deviner, s'entêta Alice

— Emmy ne peut-elle pas initier la conversation ?

— Sûrement pas ! protesta Alice. De 1) elle est bien trop fière pour parler de ses sentiments, de 2) ce n'est pas à elle de le faire. C'est lui qui l'a embrassée la semaine dernière, si j'ai bien compris, et lui qui a clamé que ce n'était rien, mais pour moi, on n'embrasse pas les gens sans raison.

— Sur ce dernier point, je suis d'accord avec toi. Ce serait bien plus simple s'ils admettaient tous les deux qu'ils se manquent et s'ils se parlaient à cœur ouvert.

De plus, se souvint Caitlin, elle avait entendu la dernière phrase que Gaël avait dite à Emmy : « Attends, il t'aveugle encore ? Mais passe à autre chose ! » et Luke avait répondu « De quoi je me mêle ? », comme si il était soulagé, heureux de le savoir. Elle avait vu la brève étoile qui s'était allumée dans ses yeux, avant qu'elle ne s'éteigne. Elle le rappela à Alice, qui soupira.

— Quand je te disais qu'il ne lui facilitait pas la tâche, c'était exactement à ce genre de chose que je pensais. Les sentiments n'apportent que des problèmes. Peut-être qu'il vaut mieux vivre aventures après aventures sans jamais s'accrocher.

— Une vie ballottée par les flots des émotions, détachée de toute personne, souffla Caitlin. Si seulement ça existait.

Le visage anguleux de Zoey apparut dans son esprit, ses yeux gris bordés de pluie, comme les nuages dans Central Park, le jour où elle l'avait embrassée. Il était difficile de ne pas s'attacher.

— Je vais la construire, affirma durement Alice.

Un élan de compassion s'échoua contre le cœur de Caitlin. La pauvre était encore dans cette phase où elle ne voulait plus penser une seule fraction de seconde à ouvrir son cœur à quelqu'un.

— On devrait dormir, murmura Caitlin.

— Si tu m'entends pleurer, je suis désolée, chuchota Alice, la voix pâteuse

— Ce n'est pas grave. Je te consolerai. C'est à ça que servent les amis.

Les souvenirs dansèrent sous ses paupières closes, et Caitlin songea qu'elle ne pourrait jamais plus s'offrir comme ça à quelqu'un, même si elle revenait, elle savait qu'elle n'en serait jamais plus capable. Elle n'était pas faite pour les histoires de cœur tumultueuses.

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Hello ! Comment allez-vous ?

Merci d'avoir lu cette partie ! Que pensez-vous de cette discussion entre Cait' et Alice ?

On se retrouve samedi prochain pour le chapitre suivant ! 🎶

Prenez bien soin de vous ! 🖤

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