Tout pour la musique (2)

➵ Chapitre 51

   Une balade en forêt. Je rêvais d'une balade en forêt, avec le vent d'été caressant mon visage, comme lorsque j'étais enfant et que nous partions en randonnée dans les Alpes. Il arrivait parfois qu'il pleuve. La froidure mordante des gouttelettes conjurait alors avec la moiteur de l'été. On s'emmitouflait dans nos coupe-vent et nous accélérions le pas, Simon et moi marchant dans la boue. C'était ce à quoi je pensais pour oublier mon stress, alors qu'Alice et Solange étaient parties chercher des bouteilles d'eau ainsi que des biscuits à la cafétéria.

   Mon entraînement allait bientôt commencer. Messieurs Ginsique et Wiener étaient partis déposer des affaires dans la salle des profs, et ils n'allaient plus tarder à revenir. J'avalai péniblement ma salive. Je ne pouvais compter que sur moi-même, et je ne m'étais pas suffisamment entraînée seule à mon goût. J'avais encore besoin de la chanteuse en fond sonore, et mon petit doigt me murmurait que M. Wiener ne me laisserait pas faire une première tentative avec la version chantée...

— Oh, Emmy, ne fais pas cette tête ! résonna la voix réconfortante de Solange

— Wiener et Ginsique ne sont pas des T-Rex assoiffés de sang ! renchérit Alice. Réflexe ! cria-t-elle en me jetant une bouteille d'eau (heureusement) fermée.

   Bouteille d'eau qui s'écrasa piteusement à mes pieds, non sans que je n'eus tenté de la rattraper dans un geste digne d'un moulin à vent...

— Quel talent, commenta sarcastiquement Solange, alors que je me levais pour la récupérer

— Vous avez raison, capitulai-je. Dans le pire des cas, je me loupe complètement.

— Et les lois de Newton resteront toujours vraies, donc on pourra toujours les appliquer aux planètes, parce que chanter comme une crécelle n'a pas d'influence sur la rotation de la Terre, confirma Solange

— Mais tu peux briser du verre, alors fais quand même attention, plaisanta Alice

Son allusion à la Castafiore éclaira mon visage d'un sourire.

— Et puis, M. Ginsique est gentil, ajouta Solange. Et Wiener... on verra ! Au pire, je ressortirai ma batte de baseball pour lui montrer de quel bois je me chauffe !

— « Ressortirai » ? relevai-je

— Oui, la première fois c'était pour l'ex de Rachelle. Il avait versé de la colle dans son shampoing parce qu'elle s'était teint les cheveux en violet et qu'il n'aimait pas ça. Il ne voulait pas qu'elle se maquille ou qu'elle porte des vêtements qu'il jugeait indécents. Bref, je le déteste. Ça commence comme ça, et ça se finit avec une relation toxique, expliqua-t-elle. Enfin, ça l'était déjà. Vous l'aurez deviné, je ne l'ai pas frappé. Mais je ne me suis pas gênée pour lui dire qu'il abusait et que Rachelle ne lui appartenait pas.

— Exactement, appuya Alice. On n'est pas des objets et on fait ce qu'on veut avec nos cheveux, notre peau, notre corps. Personne excepté nous-mêmes n'a quelque chose à dire là-dessus. C'est irrespectueux.

— D'ailleurs, on ne devrait même pas avoir à exiger ce respect. Ça devrait être quelque chose de normal, intervins-je

— Tout à fait, confirma Solange, tandis que la porte de la salle de classe s'ouvrait sur les professeurs

   J'ignorai la pique de stress qui se profilait doucement à l'horizon pour me concentrer sur ma respiration. Comment tenir une longue note haute si je suis à bout de souffle alors que la chanson n'a même pas encore commencé ? Je bus une gorgée d'eau pour me ressaisir.

— Prête ? me demanda M. Ginsique

J'hochai la tête avec un sourire.

— Tu préfères la version chantée ou la version karaoké pour la première fois ? poursuivit-il, le nez sur sa tablette