➵ Chapitre 75

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J'avais la boule au ventre. Jamais je ne m'y ferai à ces colles. Jamais. Si j'avais encore eu quelque chose dans l'estomac, ce serait déjà ressorti. Pourtant je n'ai colle que dans une heure et tous mes repas de la journée ont quitté mon estomac dès qu'ils y sont entrés. Ma tête tournaient, mes paupières étaient lourdes, je me sentais faible.

Solange disait que j'avais perdu du poids. Je l'ai contredit jusqu'à ce que je croise mon reflet dans le miroir. J'ai eu du mal à me reconnaître. Je n'ai jamais eu de pommettes saillantes, jamais eu les traits autant tirés. Il fallait dire que je dormais très mal.

   Les yeux grand ouvert, le cœur cognant à toute allure dans ma poitrine, les lèvres tremblantes et le corps trempé de sueur et frissonnant, j'attendais des heures durant que le sommeil vienne me chercher. Il ne venait que très tard – ou très tôt, ça dépend du point de vue – et c'était pour peupler mes rêves de formules, d'équations et de définitions. Parfois, je rêvais même de trouver la solution à un exercice que je ne comprenais pas. Au réveil, la solution s'était envolée.

— Emilie ? m'appela Judickaël, adossé au mur en face de moi

— Oui ? fis-je

— Promets-moi de te reposer, ce soir, répondit-il tandis qu'un pli soucieux apparaissait sur son front. Tu en as besoin.

— J'essaierai, promis-je

— On ne veut pas que tu essaies, on veut que tu le fasses, rétorqua Ludovic, à côté de lui

— Le hic, c'est que j'ai beaucoup de mal à dormir. Je stresse trop, avouai-je en regardant mes pieds

— Sauf qu'après la colle de maths, tu n'auras plus aucune raison de stresser, avança-t-il, compatissant

— Si, celle de la semaine prochaine, soupirai-je

— Tu vas t'écrouler si tu continues comme ça, intervint Lise

   Livide, elle patientait avec Kahina et Marceline, ses deux compatriotes de colle. Nous les avions accompagnées pour leur apporter un peu de soutien.

— Et toi aussi, répliqua Ludovic.

— Moi ? fit-elle d'une voix plus faible que d'habitude. Je n'ai pas perdu de poids et je dors la nuit.

  La question « Tout va bien ? » mourut sur mes lèvres. Évidemment qu'elle n'allait pas bien. C'était difficile de trouver quelqu'un qui allait réellement bien cet an-ci. J'imagine que certains arrivent plus facilement que d'autres à le cacher. Le pire, ce sont ceux qui clament haut et fort que nous valons mieux les autres dans les autres lycées, alors qu'ils s'endorment baignés dans leurs propres larmes. Nous savons tous que c'est faux. La seule chose qu'ils essaient de se convaincre, c'est qu'ils valent quelque chose et que l'étincelle qui les animait est encore là.

— On a tous différentes façons de gérer tout ça, éluda Judickaël

— Pour Solange, ça consiste à ne pas se laisser faire. Vous devriez la voir avec M. Dubois en colle, c'est à mourir de rire. Il n'ose plus lui faire de remarques, expliqua Ludovic

— C'est une bonne chose. Au moins, elle est tranquille, affirmai-je

C'est curieux, cette gêne que j'ai dans la poitrine, qui restreint ma respiration.

— C'est sûr.

Un silence inconfortable s'installa. Ma gorge était sèche malgré le fait que je m'appliquais à inspirer et expirer longuement.

— Encore 15 minutes, marmonna Lise d'une voix rauque, les yeux rivés sur sa montre

    Kahina et Marceline restèrent silencieuses, leurs yeux dénués de toute émotions fixés sur le plafond. Lise, à côté d'elles, se mordit la lèvre et fut saisie d'une quinte de tout. Tout d'un coup, elle parut étouffer et se mit à respirer très fort. Ses jambes se dérobèrent sous son pied, Kahina eut le réflexe d'empêcher sa tête de cogner contre le mur. Lise haletait, des larmes brisaient son visage, des tremblements craquelaient son corps et mon coeur se déchira à la vue de cette scène.

Tout pour la musique (2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant