➵ Chapitre 6

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   Quand Luke avait rompu, le 23 mai 2017 exactement, par un long message vocal, il n'avait pas seulement brisé le lien qui nous unissait : il avait coupé tous les ponts. Tous. Les SMS, les messages via les rares réseaux sociaux auxquels j'étais inscrite, les appels. Mêmes les mails. Le pire était que je savais qu'il avait lu et écouté tous mes messages. Je le savais car je le connaissais plus que bien. Il m'avait consciencieusement et consciemment ignorée. Comme si du jour au lendemain j'étais devenue insignifiante, invisible. Comme si je n'existais plus. Il était mon monde et tout d'un coup il avait disparu. Comme si je n'avais jamais rien représenté pour lui. Il m'avait supprimée d'un claquement de doigts. Je l'ai haï.

Et Mike. Mike avait été là. Il m'avait appelée deux fois par jour, était resté éveillé jusqu'à ce que je m'endorme, à l'autre bout de l'appareil. Il me demandait ce que j'avais mangé, si j'avais mangé en quantité correcte, et il n'avait pas eu peur de poser la question à Alice en cas de doute. Il avait répondu à toutes mes questions sur Luke les premiers jours, puis il avait progressivement arrêté, prétextant que c'était mauvais pour moi de m'accrocher comme ça à lui. Et il avait raison. La triste et inébranlable vérité était que Lucas Fidelings n'était plus bon pour moi. Encore aujourd'hui, cette vérité me frappait.

Et puis, j'avais commencé à remonter la pente, à aller mieux. Je parlais encore tous les jours à Mike à ce moment-là. Je ne sais pas quand est-ce que j'ai arrêté, qu'on a arrêté. On s'est éloigné. J'avais rencontré de nouvelles personnes, dont Solange. J'étais rapidement devenue proche d'elle. J'avais eu un espèce de coup de foudre amical, un truc qui a fait que j'ai su qu'elle ne rigolait pas quand elle m'a dit que je pouvais tout lui dire et lui faire confiance. Et j'avais passé des soirées entières le vendredi à lui parler de Luke, Alice à mes côtés. Solange m'avait alors dit de le laisser partir, ce que j'avais réussi à faire avec son aide. J'avais rencontré des tas de nouvelles personnes, et avait même embrassé Ludovic juste parce qu'il m'avait dit que j'étais mignonne pendant cette soirée où tout a changé.

   Les larmes me montèrent aux yeux aux souvenirs de cette soirée, et de Solange. J'ignorai la douleur qui me poignarda le coeur et préférai me faire rire cyniquement en me rappelant que je n'avais pu adresser la parole à Ludovic les jours suivants. En fait, je n'avais adressé la parole à personne, pas même Alice. Et pourtant, elle aussi avait été là.

Quand on voit ce que m'attacher à elle a donné... Non, je ne m'attacherai plus jamais à quelqu'un de nouveau. Perdre ceux qui me sont chers aujourd'hui sera déjà bien trop douloureux. Inutile d'en rajouter, même si Glenn avait l'air gentil, et que sa petite amie me sortait (déjà) par les yeux :

— Alors, Em, tu as reparlé à Luke ? questionna Eileen, tandis que je trempais pensivement mes pieds dans la piscine municipale du Queens

— Occupe-toi de tes oignons, grognai-je, et je te prie de ne...

    Pas m'appeler Em, terminai-je, dans ma tête. Cela me rappelait beaucoup trop Luke, qui n'avait décemment plus sa place dans mes pensées.

— De ne ? répéta-t-elle, m'incitant à continuer

Pas me parler de Luke, terminai-je, sèchement

Je lui jetai un petit coup d'œil et manquai de défaillir : un air moqueur flottait sur son visage. Je rêve ou bien cette situation l'amuse ?

— Et pourquoi ça ? interrogea-t-elle en repliant nonchalamment une jambe sous son menton

Je serrai les poings.

— Car je te l'ai dit, ça ne te regarde pas, répliquai-je, froidement

— Oh que si, susurra-t-elle

Tout pour la musique (2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant