➵ Chapitre 56

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   Il y a des jours où, quand je vois toute cette classe bourrée de talents, ces personnes qui s'investissent dans la musique comme si elle était leur vie, je me demande ce que je fais là, comment moi, j'ai pu atterrir ici.

   Je m'interroge, est-ce que j'aime autant la musique qu'eux ? Est-ce qu'ils ne seraient pas plus méritants que moi ? Moi, je ne fais pas de musique. Moi, je lance dans le vent des mots et sons plaintifs, et j'essaie de les faire entrer au creux des gens qui m'écoutent, au creux de moi-même.

— Arrête de déprimer, Emmy ! chuchota Solange, à ma droite

— Je ne déprime pas, protestai-je

— Mon œil ! Ça fait cinq minutes que tu lorgnes le tableau d'un œil morne !

   Très bien, la comédie n'est décidément pas mon truc. Ce n'est pas de la déprime, j'ai juste un petit coup de mou.

— Je suis juste un peu fatiguée, avouai-je.

   Même les trois cafés que j'avais bus à la pause n'avaient pu y faire quelque chose ! Quand je pense que je me suis brûlée la langue... tout ça pour avoir la tête lourde, les paupières qui collent et voir le marchand de sable me narguer dans le coin de mon esprit.

— Mouais. Tant que tu n'es pas fatiguée de vivre, ça me va, dit-elle à voix basse.

— Silence ! s'exclama notre professeure d'histoire

  Nous obtempérâmes, et je tâchais d'écouter l'anecdote qu'elle racontait sur la quatrième république. Mais peine perdue ! Mon cerveau n'était plus en mesure de suivre le cours. Si je commençais à ne plus suivre...

  Comment il faisait, Luke ? Lui qui a toujours la tête ailleurs ne doit pas suivre beaucoup en classe... Je me mordis la lèvre en pensant à lui : mon estomac s'était retourné. Même à plusieurs milliers de kilomètres, il arrivait à me faire cet effet...

— Arrête de penser à Luke ! murmura Solange, en me donnant un coup de coude

— Comment tu sais que je pense à lui ?

— T'as l'air plus débile que d'habitude, lâcha-t-elle tandis que sa voisine Rachelle pouffait de rire

— T'as des yeux de merlan frit, renchérit Antoine, à ma gauche

— Hé ! protestai-je

— SILENCE ! SOLANGE ET SA VOISINE ! tonna l'enseignante

— Quelle voisine ? questionna innocemment l'interpelée tandis que je m'empourprais sous mes cheveux bruns

La classe éclata de rire.

— Solange, tu files un mauvais coton, rétorqua sèchement l'enseignante avant de reprendre son cours.

Malgré le silence qui planait désormais dans la salle, je ne pouvais pas empêcher mes lèvres de s'étirer dans un sourire hilare. « T'as l'air plus débile que d'habitude. » Vraiment, il n'y a que Solange pour dire ça aussi naturellement ! C'est fou, elle a su faire disparaître ma morosité en une seule phrase.

Je lui jette un coup d'œil. Elle gribouille des dessins sur son cahier d'un air détaché. Des étoiles filantes. En dessous, elle a griffonné « celle qui laisse des traînées derrière elle ». C'est peut-être le début d'un poème ou d'un texte qu'elle a en tête.

Tout pour la musique (2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant