➵ Chapitre 102

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Je m'étais endormie dans une position étrange, si bien que ma nuque était toute ankylosée. Mais il fallait dire qu'avec Mike, Alice et Caitlin sur le canapé de Luke, il n'avait pas resté beaucoup de place pour moi. Si je me souvenais bien, nous avions atterri chez lui après que Mike ait terminé sa seconde coupe glacée. Le bruit et les rires ne m'avaient pas empêchée de m'assoupir au beau milieu d'une partie de Monopoly. Cependant, ce n'étaient pas leurs cris de victoire qui m'avait réveillée, mais leur absence. Le silence était effroyable, presque douloureux pour mes tympans.

J'ouvris les yeux et remarquai que les autres semblaient être partis. Dans la cuisine, Luke s'affairait à ranger la vaisselle utilisée.

— Il est quelle heure ? questionnai-je, après avoir baillé.

— Ah ! Tu es réveillée, s'exclama-t-il en se tournant vers moi. Il est presque deux heures du matin. Les autres viennent de partir, m'indiqua-t-il en ponctuant sa phrase d'un sourire poli.

J'hochai la tête et me levai, grimaçant en entendant le craquement de mes os. Ma colonne vertébrale n'avait pas apprécié être recroquevillée. Mon verre étant encore sur la table, je me servis un verre d'eau. Je jetai un coup d'œil au synthétiseur. Je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire, mais il fallait que je joue quelque chose, que mes doigts trouvent une occupation.

Sans même demander à Luke si je pouvais l'utiliser, je m'y installai et l'allumai. Tant pis pour les voisins. Je commençai par m'échauffer, jouant quelques morceaux dont je me souvenais : des génériques de série, des musiques de film, des chansons. Puis, je me laissai glisser vers l'improvisation.

Mes doigts frappaient les touches à un rythme tantôt effréné et profond, tantôt suffi calme et léger qu'une ondée d'été. J'y mettais tout. Mon cœur, mon âme, mes émotions. Je ne savais pas ce que ça voulait dire, je ne savais pas si quelqu'un allait entendre mon cri. J'étais transportée au pays du langage où on pouvait tout dire sans avoir besoin de mots. Chaque touche faisait frémir mon cœur et me permettait de me sentir plus vivante. J'étais perforée par de la lumière, mais je distinguais le sang noir qui s'égouttait discrètement.

J'avais le cœur baigné de chagrin sans aucune raison. Alors, je le laissai contrôler mes doigts et l'intensité des notes. Le destin, terrible et lancinant, s'abattait irrévocablement sur elle, sans qu'il ne pût rien y faire. Il était impuissant, et elle était résolue. Elle avait accepté son sort. Et moi, derrière mon livre, je n'avais pu qu'observer. Elle n'était plus là.

Des larmes physiques avaient fini par couler. Je terminai le morceau inventé pour pouvoir les essuyer.

— C'était beau, dit simplement Luke, derrière moi. Je n'ai pas les mots pour en dire plus.

Je le remerciai d'un sourire et il s'assit à côté de moi.

— Je viens de discuter avec Clara. Je suis désolé, tu sais.

J'haussai les épaules. Ça n'allait pas changer la situation.

— C'est qui, Ludo ? questionna-t-il après un silence.

— Parmi toutes les questions que tu dois te poser, c'est la première qui te vient à l'esprit ? répliquai-je, perplexe.

Il haussa les épaules.

— En l'espace de deux minutes, Clara a prononcé son prénom une cinquantaine de fois.

— C'est une romance jamais écrite, répondis-je. Jamais vraiment commencée.

— Ah. Je m'attendais à quelque chose de plus croustillant, lâcha-t-il.

J'éclatai de rire.

Tout pour la musique (2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant