➵ Chapitre 3

285 31 4
                                    

J'étais coincée. Enfermée, à l'étroit dans la cellule que je m'étais moi-même façonnée. Ce que l'être humain est tordu ! Mais voilà, il ferait n'importe quoi pour rendre fier ses proches, quitte à se tirer une balle dans le pied.

Quand j'étais enfant, un de mes cousins, Romain, me répétait souvent que dans le gris de mes yeux, une pointe de jaune fleurissait. Il disait que c'était là le symbole d'un ange déchu. Lucifer. Et finalement, j'étais déchue, misérable. C'était écrit.

Je ne croyais plus en rien. On répète que tout est possible, qu'il suffit d'y croire. C'est là où réside mon problème : j'y ai cru. Trop près, trop fort. Tel Icare, la cire de mes plumes à fondu en plein envol. Ce jour-là, j'ai compris que mes rêves étaient dérisoires. Ce jour-là, j'ai compris que je n'irai plus jamais bien, que l'Inspiration, la vraie, celle qui vous brûle jusqu'aux cendres, ne viendrait plus jamais toquer à ma porte.

Alors oui, j'ai écrit, composé, joué ma douleur. Mais depuis un an maintenant, presque plus rien. Je ne jouais plus de guitare, je ne chantais plus, je n'écrivais plus, sauf pour les cours. Je savais même pas pourquoi j'avais emmené ma guitare, alors que je n'avais plus de sons, de notes, de mots. Mais des maux, ça oui. Je ne suis même plus capable d'écrire le moindre texte, de jouer la moindre note. Je ne savais plus épancher mon coeur. Mais en même temps, il n'y avait plus rien à épancher, car je n'avais plus de cœur. Claire en avait eu une infime partie, car je ne devais pas l'oublier. Peut-être qu'elle me dirait de me bouger les fesses, au lieu de rester assise. Seulement voilà, je ne pouvais plus rester debout sans vaciller comme une frêle brindille. Luke avait eu la majeure partie, mais il n'a laissé que des cendres. Et Solange a eu ces cendres, et les a entièrement consumées malgré elle.

Alors, j'étais là, cheveux au vent, sur le toit de l'auberge de jeunesse. New-York, la ville où tout est possible, m'offrait ses hautes lumières et ses gigantesques gratte-ciel. New-York, la ville des possibles, saluait les étoiles et embrassait la lune, me chuchotant que rien n'était perdu, que je pouvais encore faire éclater la minuscule boite cartésienne pour décoller vers l'infini, infini que je portais en moi.

Puis, comme j'étais résignée, le vent me souffla le nom de Luke. Oh, ce nom ! Il m'apportait chaleur et réconfort, plumes et merveilles, brûlure et électricité, mais aussi glace et effroi, larmes et désespoir. Je ne savais pas comment il allait, si sa chanson préférée était toujours Boulevard Of Broken Dreams. Peut-être que lui n'évoluait pas dans ce boulevard. Je l'espérais. Personne ne devrait arpenter ce boulevard, il ne devrait même pas exister.

J'étais en apnée, comme un astronaute sans casque. Mais moi, je ne marchais pas sur la Lune, je courais tout droit au Styx.

La nuit était claire. Les écureuils de Centrale Park dansaient, et les renards chantaient. Si je savais encore chanter, je les rejoindrais. Et si...

Et si, il y a deux ans, ça s'était passé différemment ? Serions-nous des étoiles ? Des rois ? Chanterions-nous sous la pluie ? Alice irait-elle mieux ? Sans aucun doutes, elle s'épanouirait. Si seulement j'avais la possibilité de tout changer...

Les yeux rivés sur la ville, je me remémorai les textes joués par mon piano. Toujours les mêmes. Je les avais écrits il y a longtemps, et je me surprenais même à les chanter. Mais plus avec la même ferveur qu'avant. C'était mon piano que j'aurais dû emmener, et pas ma guitare dont je n'avais gratté aucune corde depuis un an. C'est sur cette pensée et l'âme lourde que je regagnai ma chambre. Les couloirs lumineux m'éblouirent, et le noir de ma chambre me plongea dans un sombre sommeil sans rêves. C'était évident : je n'avais plus de rêve.

Au réveil, il était neuf heures. J'avais manqué l'aube et je n'avais fait que de me réveiller toutes les heures. Alice et Thomas, qui ne me connaissaient que trop bien, n'ouvrirent pas la bouche avant que je n'eus avalé ma tasse de café.

— Emma et John sont vraiment adorables ! répéta Thomas, pour la troisième fois depuis hier soir

— Ah bon ? Tu apprécies son humour ? le taquinai-je, faisant référence aux nombreuses blagues qu'il avait faites hier, suite au silence que j'avais provoqué

— Mis à part le coup du Watt et What, oui !

    Nous nous esclaffâmes à ce souvenir. Revoir Emma et John m'avait fait chaud au coeur. Cela avait été comme si nous nous étions séparés la veille. Il fallait aussi dire que l'année de terminale nous avait beaucoup rapprochées, même si, trop occupée à ruminer l'échec qu'était ma vie, j'avais envoyé très peu de messages cette année. Emma m'avait dit qu'elle comprenait, et que je pouvais encore faire bouger les choses. Seulement voilà, je me voyais très mal annoncer à mes parents que je voulais tout arrêter pour faire de la musique. Non pas que la littérature ne me plaisait pas, loin de là, mais ce n'était juste pas mon truc. Ce n'était pas ce qui me faisait vibrer. Moi, j'aimais créer. Des textes, des poèmes. Des mélodies, des airs qui vous restent dans la tête jusqu'à vous briser.

   Suivie d'Alice, je remontai dans notre chambre pour me maquiller. On ne savait pas encore ce qu'on allait faire. Thomas, assis sur mon lit, se moquait des mimiques qu'Alice et moi avions en nous préparant.

— Alice ! se moqua Thomas, tu ressembles à un alien tout droit sorti de mon pire cauchemar ! Oh, Emmy ! Avec un seul œil de fait, tu as l'air de d'un terminator !

— Tu sais Tommy, je maîtrise parfaitement l'art de l'eye-liner et de l'highlighter ! Alors tais-toi si tu ne veux pas ressembler à un panda pailleté ! répliqua du tac-au-tac ma meilleure amie

Tandis que j'appliquais une couche de mascara, finalisant mon aspect pour la journée, et que Thomas et Alice se chamaillaient, je m'exclamai :

— Je boirais bien un café dans un salon de thé ou quelque chose du genre !

— Encore !? se récrièrent-ils, d'une même voix

— Oui ? tentai-je, avec un grand sourire

— Pourquoi tout cet amour pour le café ? m'embêta Thomas, attendant que je réponde avec notre réplique tirée tout droit d'une saga littéraire

— Parce qu'il est noir comme mon âme ! clamâmes-nous en nous faisant un high-five sous le regard blasé quoiqu'un peu amusé d'Alice

— Tu vas boire quel café ? remblaya Alice

— Un Latte Macchiato ! annonçai-je, déjà rêveuse quand au goût futur qu'il aurait

— Quelle bonne idée ! renchérit Thomas

— Je suis prête !

Alice venait de se tourner vers nous, un œil rosé et l'autre bleuté, ses cheveux relevés avec du gel.

— Je veux un café qui vend des cookies ! prévint-elle, avant de nous faire sortir de la chambre et de la fermer à clés.

Je me dirigeai vers la sortie, les papilles gustatives tout en émoi par la promesse d'un délicieux café.

~

Hey ! Comment allez-vous ? :)

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? :) Des avis sur l'évolution d'Emmy et Alice ? Comment imaginez-vous la suite ?

N'hésitez pas à commenter, je vous répondrai avec grand plaisir !

À vendredi prochain pour le chapitre 4 ! :)

Tout pour la musique (2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant