Noix

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Mettre un terme à une relation n'était jamais une chose aisée, il fallait l'admettre. Cela faisait mal, dépendamment du degré d'affection nous pouvions avoir l'impression de mourir de l'intérieur et que jamais nous ne serions capables de nous en remettre. Au fond, c'était comme entamer une sorte de deuil. Il fallait dire adieu à tout ce que nous avions connu, partagés avec la personne concernée, faire le tri, jeter ou garder. Chacun vivait la séparation d'une manière différente, certains s'en remettaient en un rien de temps, et d'autres avaient besoin de quelques semaines, voire de mois pour passer au-dessus. La colère pouvait alors être le remède à ce mal qui nous rongeait intérieurement, comme l'indifférence pouvait en être la clef. Il n'y avait jamais eu de mode d'emploi pour cela, ce n'était pas des sentiments que nous pouvions faire taire ou évincer d'un claquement de doigts. C'était bien plus compliqué que cela et nous pourrions avoir en mains les meilleures cartes du monde que nous aurions tout de même cette désagréable impression de sombrer.

Jihyun avait mis exactement trois semaines et quatre jours, avant de trouver la force d'engager une procédure d'effacement, comme le disait Jimin. Cela consistait plus ou moins à faire le tri, à se débarrasser des objets que Jungkook lui avait offerts ou qui provenaient de leurs nombreuses sorties au cours de la dernière année passée ensemble. Avant cela, il avait simplement fermé les yeux sur la situation, évitant tout bonnement de prononcer le nom de son ancien petit-ami, pleurant dans l'obscurité de sa chambre lorsque la porte se refermait au moment du coucher. Paradoxalement, il gardait un œil éveillé sur son téléphone à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, attendant indéfiniment un message du garçon. Comme si ce dernier allait tenter de le recontacter après qu'il lui ait fait explicitement part du fait qu'il ne voulait plus avoir aucun contact avec lui. Jihyun se souvenait encore du regard dévasté que lui avait jeté l'adolescent au lendemain du bal d'hiver, lorsqu'il était venu sonner à sa portée pour tenter de comprendre sa réaction de la veille, en vain. Le pire dans tout cela, c'était que la non-présence de son aîné attisait une haine sans fin dans le cœur de l'apprenti pâtissier. Comme s'il fallait que toute la tristesse qu'il avait ressentie en se séparant de son premier amour soit canalisée en quelque chose d'autre, de plus fort, un exutoire qui finalement n'en était pas un. Il y avait des jours où il allait détesté Jungkook comme jamais il n'avait jamais détesté qui que ce soit, et d'autres où il allait une fois de plus se sentir comme au fond du trou avec cette désagréable sensation de ne jamais revoir la lumière du jour. Ces moments-là, Jihyun les passait enfermé dans la noirceur de sa chambre, les fenêtres et volets clos, ses écouteurs profondément ancrés dans ses oreilles comme pour se protéger du monde extérieur. La plupart du temps, c'était à sa mère de venir le traîner hors du lit pour le forcer à prendre une douche et avaler quelque chose. Et s'il n'avait encore jamais manqué une journée de travail, en revanche il ne m'était plus un pied dans son lycée. À quoi bon ? Ce n'était jamais qu'une semaine de cours dans le mois et en plus de cela, il devrait faire face à Jungkook. Cette mascarade ne pourrait pas durer indéfiniment, il en avait bien conscience et ses parents n'accepteraient pas ce comportement bien longtemps, mais il n'y avait pour le moment eu aucun incident sur son lieu de travail, alors l'adolescent supposait simplement qu'ils lui laissaient du temps. Combien encore ? Nul ne savait. Mais la décision de passer outre toute cette relation l'avait pris un dimanche matin, alors qu'il avait passé de longues heures à observer son plafond blanc. Incapable de quitter ses draps sombres depuis la veille aux alentours de seize heures, il avait finalement balancé rageusement sa couverture et jeté ses jambes hors du matelas avant de quitter sa chambre sans le moindre mot pour qui que ce soit. Il était monté au grenier, avait cherché quelques cartons qui traînaient depuis des années maintenant et était retourné dans son antre sous le regard à la fois curieux et inquiet de son aîné. Là avait commencé son ménage de printemps.

Il avait ouvert son placard en grand, commençant par regarder ses vêtements avec attention, avant de tirer son pull aux rayures marines qu'il plia rageusement avant de le jeter dans la première boîte. Jihyun l'avait porté pour leur premier rendez-vous. Puis il y s'était débarrassé des quelques chemises que Jungkook avait oubliées ici et lorsque son dressing fut vidé de toutes pièces lui rappelant son ex-petit-ami, l'adolescent avait refermé la porte et fit face à son reflet dans le miroir. Il faisait peine à voir, il fallait bien l'avouer. De longues cernes dus au fait d'avoir trop pleuré creusaient ses joues trop pâles, et les contours de ses narines s'étaient peu à peu irrités. Néanmoins, Jihyun n'en avait pas grand-chose à faire. Oui, il allait mal et non, il ne tentait même pas de le cacher. À quoi bon ? Et si le plus jeune de la fratrie n'écoutait pas souvent son aîné, ce dernier avait raison sur un point. Il fallait combattre le mal par le mal, et si cela voulait dire se morfondre sur lui même des semaines durant jusqu'à se sentir prêt à affronter le monde de nouveau, alors soit. Il n'allait pas en avoir honte, il était humain et la société pouvait bien penser ce qu'elle voulait, un homme pouvait pleurer sans que cela ne soit ridicule. Du coin de l'œil, coincé entre le miroir et le bois du mobilier, Jihyun retomba sur le polaroid qu'il avait pris quelques mois plus tôt en compagnie de Jungkook. Les doigts tremblants, il le décrocha et de son pouce il effleura la figure souriante de son camarade. Puis il fut pris d'un doute. Est-ce qu'il était réellement prêt à jeter ce souvenir-là ? Il prit de longues secondes pour analyser la situation avant de finalement se décider à jeter la photographie sur la pile de vêtements duveteux. C'était pour le mieux, se disait-il. Il n'était pas dit qu'il trouverait la force de jeter tout cela à la poubelle pour le moment, mais au moins ne seraient-ils plus dans son champ de vision lorsque les cartons seraient remontés dans le grenier poussiéreux.

Après cela, Jihyun avait pris un temps fou à faire le tour de sa chambre, débarrassant lettre après lettre, souvenir après souvenir. Il n'était pas descendu prendre son petit-déjeuner malgré les quelques appels de sa mère, de toute façon il pouvait sentir l'odeur d'un cake aux noix depuis l'étage et il avait horreur de cela. Il n'avait pas daigné prendre une douche qu'après s'être déchargé de tous les biens matériels appartenant ou lui rappelant Jungkook. Il ne restait plus grand-chose, et pour être plus précis, il n'y avait plus que les photos et vidéos présentes dans son téléphone, ainsi que les souvenirs gravés au fer rouge dans sa mémoire. Ces derniers, l'adolescent n'était pas certain de pouvoir les faire disparaître aussi facilement que le reste mais cela ne l'empêchait pas d'espérer. À présent, le soleil filtrait à peine entre les volets entre-ouverts, laissant quelques rayons s'abattre çà et là sur le parquet alors même que l'adolescent était allongé sur son matelas, téléphone entre les mains. Son index allait et venait sur l'écran, s'arrêtant parfois longuement sur le visage attendri de l'apprenti mécanicien. Plus d'une cinquantaine de photos avaient déjà été présélectionnées, attendant patiemment d'atterrir dans les méandres de sa carte mémoire. Alors même qu'il pensait encore à appuyer sur la corbeille, Jihyun ne put s'empêcher de renifler alors que sa vision venait à se troubler. Était-il capable d'aller aussi loin ? Une petite voix lui soufflait que, plus y allait y penser, et moins il serait capable d'agir comme il devrait le faire. C'était tellement d'abandonner tout ce qu'ils avaient construit, de lâcher cette main qu'il avait tenue durant si longtemps. Il n'était pas prêt à lui dire au revoir, mais il n'y avait plus de retour en arrière possible. Après tout, ne s'étaient-ils pas déjà quittés ? D'un souffle tremblant, son pouce effleura l'écran et un sursaut manqua de faire tressauter ses épaules alors qu'il percevait distinctement les quelques coups portés à sa porte d'entrée. À cette heure-ci, n'était-il pas censé être seul dans la maison? Et aux dernières nouvelles, il n'attendait personne.

Se décidant à descendre dans l'entrée, les manches de son pull venant éponger les quelques larmes qui s'étaient finalement échappés, il ouvrit finalement la porte et oublia comment respirer alors que face à lui se dressait Jungkook, les membres tremblants et la mâchoire serrée. Quelques secondes s'écoulèrent dans le silence avant que Jihyun ne commence à refermer le battant en bois, en vain. Son aîné venait de coincer son pied dans l'entrebâillement et s'appuya contre la lourde planche avant de s'immiscer à l'intérieur. Avant même qu'il n'ait le temps de protester, son ancien petit-ami prit la parole.

« -J'ai embrassé Suzy. »

Entendre ces mots lui fit le même effet qu'un coup de poignard et, Jihyun ressentit un réel élan de rage traverser son esprit. Pourquoi venir ici, lui dire ce genre de chose en sachant pertinemment qu'il en souffrirait ? Il savait Jungkook capable de beaucoup de choses, mais lui faire du mal délibérément jamais il ne l'aurait pensé. Se mordant la lèvre inférieure, il posa finalement son regard sur l'aîné.

« -Qu'est-ce que tu veux que-
-Et j'ai détesté ça. » 
Jihyun s'arrêta net, fronçant légèrement les sourcils alors que sa main retenait encore la porte qu'il se décida finalement à refermer. Devant lui, Jungkook évitait son regard, jouant nerveusement avec ses mains, tordant ses doigts dans tous les sens alors qu'il commençait à faire les cent pas sur le parquet. Subitement, il reprit comme s'il venait à craindre que les mots ne lui échappent.

« -J'ai rien ressenti, du tout. C'était complètement vide et je me sentais mal parce que j'avais l'impression de te tromper même si tu as décidé qu'on était plus ensemble et, là est tout le problème Jihyun. »

Après quelques secondes, le plus âgé des deux adolescents se planta devant son comparse, le surplombant de sa hauteur alors qu'il déglutissait difficilement sous le regard incrédule de Jihyun. Ce dernier peinait à suivre le rythme de la conversation, comprenant seulement que Jungkook se trouvait là, face à lui. C'était douloureux d'observer ce visage qu'il avait tant aimé et dont il se savait pour le moment incapable d'oublier. Ses traits semblaient, tout comme les siens, déformés par la fatigue, et la panique dans son regard laissa le doute s'installer chez le plus petit.

« -Tu as décidé de rompre ce qu'on avait construit sans m'en faire part avant. Tu ne m'as jamais posé la question sur ce que je ressentais ni même questionné sur les suppositions par ailleurs complètement stupides que tu avais à l'égard de Suzy. Quand tu m'as laissé en plan le soir du bal, je me suis réellement demandé ce que j'avais bien pu faire de mal pour que tu me laisses comme ça, et puis j'ai compris ce que tu m'as dit. J'ai bêtement pensé que tu avais raison, que j'étais juste trop étriqué socialement pour le reconnaître par moi-même, alors j'ai embrassé Suzy. Je ne me suis jamais senti aussi mal, Jihyun. Je suis .. Sincèrement désolé si tu as un moment pensé que mes sentiments pour toi s'effaçaient au profit de Su', mais ce n'est pas le cas. Je suis sincèrement désolé si je t'ai peiné en passant inconsciemment plus de temps avec elle qu'avec toi et je peux sans doute m'excuser pour un milliard de choses encore. Mais je ne m'excuserais pas à ta place pour avoir rompu. Je ne te pardonnerai pas les jugements hâtifs que tu as tirés ni les décisions stupides que tu as prises en solitaire alors que ça nous concernait tous les deux. »

Dans sa tirade effrénée, l'adolescent marqua finalement une pause. Il prit le temps de respirer d'un souffle court et incertain, jouant nerveusement avec la chevalière qui se trouvait autour de son annulaire gauche avant de finalement reprendre la parole, l'air soudainement sûr de lui. Tout du moins, c'était ce qu'il espérait montrer à son cadet.

« -Ce que j'essaie de te dire.. C'est que je sais pas si toi et moi on est fait pour durer. Je sais pas si on traverse une période d'adolescence qu'on oubliera dans les années à venir, ou si l'on continuera à marcher côte à côte pendant des décennies. Honnêtement je ne suis même pas sûr de vouloir le savoir. Mais ce que je sais, là tout de suite, c'est que je veux retrouver ce que l'on avait. Je ne veux pas sortir avec une fille parce que c'est ce que voudrait mon père, ou ce que l'on pense comme étant le mieux pour moi. On est jeune, on a pas fait la moitié du chemin mais je veux que tu saches que je ne suis pas prêt à lâcher ta main. Pas maintenant Jihyun. Alors à moins que ce ne soit pas ton cas, et j'espère que ça l'est parce que sinon venir jusque chez toi et te dire tout ça s'avérerait particulièrement gênant, je veux que tu saches que je ne sais peut-être pas encore ce qu'est vraiment l'amour mais qu'avec toi, j'ai la sensation de le connaître. Alors s'il te plaît dis quelque chose parce qu'intérieurement je commence à paniquer.. »

C'était incroyable de constater comme un rien pouvait faire pencher la balance. Un geste, quelques mots ou la présence d'un objet familier pouvaient faire resurgir des émotions que nous pensions enfouies. Quelques heures auparavant, Jihyun s'était pourtant résigné à tout oublier en ce qui concernait Jungkook et leur relation. Pourtant, voilà que le principal concerné se retrouvait en plein milieu de son entrée, débitant comme si l'air allait lui être enlevé à tout moment et dans l'incapacité de soutenir son regard. Et quel regard ? C'était à peine si Jihyun était capable de le distinguer clairement à cause de l'eau salée qui s'agglutinait derrière ses paupières. La gorge nouée, incapable de prendre la parole sans laisser exploser tout ce qu'il ressentait en cet instant, l'adolescent se contenta simplement d'approcher en sa direction avant de venir nouer ses bras autours de ses épaules, laissa son visage se nicher autours de son cou.

La colère pouvait alors être le remède à ce mal qui nous rongeait intérieurement, comme l'indifférence pouvait en être la clef. Mais parfois il fallait simplement admettre la communication n'était pas qu'une issue de secours.

𝙼𝚞𝚏𝚏𝚒𝚗Où les histoires vivent. Découvrez maintenant