Orange

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La demoiselle était assise en tailleur sur le sol parfaitement propre de cette maison typique d'un ancien temps. Elle avait grandi ici, entourée de ces blocs de maisons passablement identiques les uns aux autres et pourtant tellement chaleureux à l'intérieur. À présent, la jeune femme vivait en plein centre de Séoul, c'était parfois dépaysant, mais elle se plaisait à revenir auprès de sa famille de temps à autre, comme aujourd'hui. Ses relations avec ceux qui l'avaient mis au monde n'étaient pourtant pas des plus simples, du moins elles ne l'étaient plus depuis quelques années maintenant. À leurs yeux, une femme non mariée devait rester au foyer, et non pas prendre un appartement, seule de surcroît. Une vieille mentalité qui pourtant, ne l'atteignait pas plus que cela. Il avait été difficile de leur tenir tête, elle qui des années durant avait obéi sans se poser de questions, sans oser répondre. Mais finalement, elle y était parvenue et ne le regrettait nullement, et ce, malgré les regards encore parfois accusateurs que pouvait lui lancer son père.

Repassant convenablement les plis de sa jupe fleurie, elle écoutait d'une oreille distraite la vieille radio émettre les chansons d'une cassette qu'elle avait pourtant entendues mille fois dans son enfance. Autour d'elle, sur les murs blancs, traînaient de nombreuses photos. Sur bien d'entre elles, elle se reconnaissait à plusieurs étapes de sa vie. Parfois vêtu d'une horrible salopette jaune avec deux immondes couettes, d'autre dans son ancien uniforme scolaire, les cheveux lâches et encore trop sombres à son goût. Il y avait même un cadre la représentant, âgé d'une dizaine d'années, sur la vieille balançoire dans le jardin de ses grands-parents. Un immense pommier dans lequel elle aimait jouer avec d'autres enfants du petit village. Cette époque lui manquait parfois, lorsqu'elle n'avait à s'inquiéter de rien, pas même de ses études. Ça aussi, c'était un sujet de discorde régulier avec ses parents, surtout avec sa mère en fait. La condition pour avoir cet appartement avait été qu'elle intègre l'une des trois prestigieuses SKY. Ce qu'elle avait fait, à contrecœur et bien malgré elle. Là-bas, il n'y avait que pression et compétition, hypocrisie et pleins de faux-semblants. Seuls les résultats comptaient, et tisser des liens durables pour s'épauler les uns les autres ne semblait pas être priorité. Il n'y avait personne sur qui elle pouvait se reposer, pas alors que chaque semaine, sur de grands tableaux blancs, se succédaient classements et rangs de chacun.

Un sourire léger et discret vint illuminer son visage tandis que d'une main gracile, elle venait replacer l'une de ses mèches derrière son oreille. Sa mère venait de revenir, un plateau contenant thé et biscuits entre les mains. Des odeurs d'enfances, des goûts d'adolescentes. Certaines choses ne changeaient pas et peu importe combien elle s'efforçait de parfaire son art de servir le thé, jamais il n'était aussi bon que celui de sa mère. Pourtant, ce n'était rien d'autre qu'un thé vert classique, mais il y avait ce petit plus irremplaçable. À deux mains, elle récupéra le verre en terre cuite fumant et huma longuement l'odeur amère qui s'en dégageait.

« -Merci maman. »

Ajouta la demoiselle avant de tremper ses lèvres dans le breuvage brûlant. La première gorgée n'était jamais agréable, toujours trop chaude, douloureuse pour sa gorge délicate. Mais la suite n'en était que meilleure. Pourtant, aujourd'hui elle n'arrivait pas à l'apprécier pleinement, pas alors que son père n'était pas rentré de son cabinet. L'appréhension prenait le pas sur la joie qu'elle éprouvait habituellement à leur rendre visite. Puis, la honte viendrait remplacer cette désagréable sensation sans qu'elle ne puisse la combattre. La radio transmettait toujours cette horrible mélodie qu'elle connaissait pourtant par cœur, comblant le silence presque pesant qui planait dans la pièce. La jeune femme n'osait regarder sa mère, qui pourtant se comportait comme à son habitude, avec son sourire bienveillant et sa voix chantante. Les années ne semblaient pas l'avoir attaqué, à peine quelques rides au coin de ses yeux. Il n'y avait guère que la longueur de ses cheveux pour témoigner des changements face au temps. De temps à autre, l'étudiante piochait dans la petite assiette pleine de biscuits confectionnés par la femme lui faisant face. Ils étaient délicieusement sucrés et acidulés, comme elle les aimait. Eux non plus, elle n'avait jamais su comment les préparer convenablement, ils sentaient toujours trop fort l'orange, ou bien une couleur horriblement brunâtre recouvrait le dessus des biscuits à cause d'une cuisson mal calculée.

𝙼𝚞𝚏𝚏𝚒𝚗Où les histoires vivent. Découvrez maintenant