Fleur de sel

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L'envie de hurler, de renverser tout ce qui se trouvait sur son passage, de bousculer chaque personne tentant de poser ne serait-ce d'un doigt sur lui. C'était ainsi que Namjoon se sentait en cet instant. Il avait les yeux humides, le souffle court et haché alors qu'il se trouvait dans une petite pièce adjacente à la salle de l'audience durant la pause animant le procès. Assis sur un banc, les jambes écartées, les coudes posés sur ses genoux et les mains tristement agrippées à ses mèches blanches, ses membres tremblaient avec plus ou moins de violence. Autour de lui, il entendait vaguement Joy parler de la suite des événements, tandis que Taehyung et Jimin se permettaient d'insulter l'avocate adverse de tous les noms d'oiseaux qu'ils connaissaient. Si les deux jeunes hommes n'étaient pas si proches que cela, pour ne pas dire de parfaits inconnus l'un envers l'autre, ils semblaient néanmoins en accord sur ce point-là. Subitement, l'Irlandaise prit une chaise et vint s'asseoir en face de son client, tentant d'attirer son attention.

« -Namjoon, ça va aller. Il n'y a aucune raison pour qu'ils reviennent sur la décision qu'ils ont déjà pris une fois.
-Alors pourquoi demander une pause durant l'audience ? Ça ne s'est pas produit la dernière fois, ils vont forcément revoir leur décision.
-Je n'en sais rien, mais ne vous en faites pas, tout va-
-Arrêtez de me dire d'aller bien ! »

Namjoon se leva d'un bond, frappant son poing contre le mobilier usé. C'était un miracle que ce dernier ne se soit pas fissuré face à l'impact. Joy sursauta, et les conversations se stoppèrent nettes. Il pouvait sentir les regards posés sur sa personne, et cela rendait la situation plus difficile encore. Il n'était pas une putain de bête de foire. Sans parvenir à se contrôler, il se mit à hurler. Heureusement pour eux que les portes étaient closes.

« -Arrêtez d'agir comme si tout était gagné d'avance alors que ce n'est pas le cas ! Arrêtez de me promettre que tout ira bien alors que vous n'en savez rien ! L'avenir de mon fils est en jeu, comment voulez-vous que je me calme ! Ce n'est pas- Ce n'est pas une histoire à prendre avec autant de légèreté !»

Il balbutiait, perdait complètement ses moyens alors que ses bras se mouvaient en de grands gestes incohérents. Et puis, soudainement, son dos rencontra le mur et il vit quelques petites taches noires parsemer sa vision déjà embuée de larmes difficilement contenues. L'air lui manquait, il avait l'impression qu'un poids invisible appuyait sur ses poumons et qu'une main d'une force légendaire enserrait sa gorge empêchant l'air de circuler librement. Ses jambes se dérobèrent sous son poids, et il chuta au sol, le mur comme seul support. Il haletait, cherchait une prise sur la réalité qu'il ne parvenait pas à trouver. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et il craignait de mourir à tout instant.

Yoongi, qui jusqu'à présent était resté calme et silencieux près de la sortie, se précipita en direction de son compagnon, s'agenouillant face à lui tandis que ses mains venaient chercher son visage, son regard tentant tant bien que mal de capter le sien.

« -Hey. Hey, Namjoon. Regarde-moi. Respire. »

Le père de famille bataillait avec lui même pour revenir à la surface, il ne parvenait pas à faire taire la petite voix dans sa tête, ni même à faire disparaître les trop nombreuses images que lui imposait son esprit. Il voyait subitement Wooju lui être arraché, il se représentait seul dans un appartement vide de toute chaleur humaine, et la voix de son compagnon lui semblait lointaine. Il parvenait à la percevoir, mais il ne comprenait pas un mot de ce qui lui était demandé.

« -Allez Joonie, respire avec moi. Suis mon rythme. Inspire, puis expire. Voilà, c'est ça, continue. »

Yoongi observait avec une inquiétude dissimulée par une expression fermée, la manière dont son compagnon se débattait peu à peu pour reprendre contenance. C'était la première fois qu'il le voyait perdre pied de la sorte, c'en était presque effrayant si lui même n'était jamais passé par ce genre de crise. La panique, le pâtissier ne la connaissait que trop bien, combien de fois y était-il lui-même passé ? La seule différence résidait dans le fait que, la plupart du temps, il était seul pour gérer ses propres crises. À l'époque, son frère n'était pas spécialement présent dans sa vie bien qu'ils vivaient ensemble et Hoseok.. L'aîné ne pouvait décemment pas l'appeler à chacune de ses crises nocturnes.

L'aîné offrit un sourire encourageant tandis qu'une main posée sur la poitrine de son compagnon accompagnait chacun de ses mouvements, et que l'autre se chargeait d'essuyer chacune des larmes ruisselant sur les joues rondes de son cadet. Il fallut près de dix minutes au père de famille pour finalement se calmer, reprendre pied dans la réalité et finalement comprendre la situation dans laquelle il venait de se trouver. Autour de lui, pas un mot, si ce n'était les quelques encouragements que lui soufflait Yoongi. Lorsqu'il se sentit un peu mieux, il se redressa difficilement, les jambes tremblantes et cette désagréable impression qu'elles étaient faites de coton. Reniflant une dernière fois, une stabilité trouvée dans la figure de son compagnon, Namjoon tourna son visage en direction de son avocate bien que son regard restait fuyant.

« -Je suis désolé Joy, je ne sais pas ce qu'il m'a pris.
-Vous n'êtes pas le premier à me hurler dessus Namjoon, ne vous en faites pas. On va devoir y retourner, vous êtes prêt ? »

Non. Bien sûr qu'il ne l'était pas. Il voulait simplement partir d'ici en courant, récupérer Wooju à l'école et s'enfermer dans la petite bulle qu'était leur appartement pour ne plus jamais en sortir. S'il était au courant des progrès qu'ils avaient tous deux réalisés en l'espace de deux ans, à présent il avait la désagréable illusion d'avoir fait quatre pas en arrière. La peur vorace de perdre le centre de son monde le poussait à ne jamais plus le quitter des yeux. Mais il n'en dit rien, se contentant de tousser un bon coup pour se redonner un peu de contenance tandis qu'il essuyait une dernière fois ses yeux rouges et bouffis à l'aide de sa manche de costume.

À ses côtés, Yoongi plaça une main dans le bas de son dos, caressant lentement et dans un geste mécanique le creux de ses reins. Il se sentait tout bonnement impuissant. À la barre, il avait failli tout foutre en l'air et plus il y repensait, plus il se demandait si son intervention auprès de Jieun n'avait pas aggravé les choses. Après tout Namjoon avait raison sur un point, de ce qui lui avait été raconté, la première audience avait été bouclée en moins de deux heures et cette fois elle représentait presque le double de temps en cumulant une pause pour laisser le temps aux jurys de délibéré. Est-ce que son altercation avec la jeune femme avait été ajoutée au dossier ? Parce que si c'était le cas, Namjoon serait totalement discrédité et en plus de cela leur relation serait exposée aux yeux de tous. Wooju serait alors définitivement confié au côté maternel de sa famille et son compagnon ne le lui pardonnerait probablement jamais. Une part assez égoïste de lui même espérait par ailleurs que ses mots ne sortent jamais de leur contexte, pour la sécurité de son couple. Au moment d'ouvrir la porte, il reprit ses distances et recula de deux pas.
  Dans la salle, Namjoon avait l'impression que la tension était remontée d'un cran. C'était comme si chaque regard était posé sur sa personne que tout le monde attendait la moindre occasion pour lui sauter dessus et lui faire avouer quelque chose qu'il n'avait jamais fait. Pourtant, cette fois, il avait le courage de regarder en direction de Jieun. Si ses parents le toisaient du regard avec un dégoût certain, la jeune femme elle, gardait la tête basse. C'était étrange, comme elle était pourtant au centre du débat mais qu'elle restait obstinément au second rang, derrière ses géniteurs. En toute honnêteté, Namjoon ne les avait jamais aimés et le sentiment était sans doute réciproque. Si à ses yeux, ils n'étaient que d'insupportables bourgeois guindés, lui n'était probablement pour eux qu'un rat boursier ayant posé les mains sur leur fille chérit. Quelle déception pour leur honneur.

N'accordant pas plus d'attention à la partie adverse, Namjoon s'empressa de rejoindre son avocate et, quelques minutes plus tard, le procès reprit son cours. Il semblait plus détendu cette fois-ci. Peut-être venait-ce du fait qu'il avait craqué quelque temps plus tôt, qu'il s'était enfin laissé aller mais à présent, il se sentait presque vide. Il n'était pas serein non, mais c'en était presque effrayant vu la situation, comme s'il ne faisait plus partit de la scène, qu'il s'était tout simplement distancé des personnes l'entourant, simple spectateur de son propre fléau. Ce n'était pas qu'il ne se souciait pas de l'issu de ce procès, loin de là même. La manière dont il avait lâché prise en attestait, mais il ne ressentait plus rien. Il n'était rien de plus qu'une coquille à cet instant.

Joy de son côté, s'assurait de défendre son client telle une lionne protégeant ses petits, parce qu'au fond c'était un peu le cas. Il s'agissait d'une affaire qui lui tenait à cœur, la dernière dans ce pays et en plus de cela, Namjoon était un ami de Taehyung. Elle ne pouvait pas échouer, pas cette fois. De tous les dossiers qu'elle avait traités jusqu'à présent, c'était bien le seul qu'elle se refusait de perdre avec tant d'intensité. Elle répliquait à chaque attaque, s'abstenait de ne pas hurler lorsque l'envie l'en prenait et tentait tant bien que mal de garder un calme olympien. Les jurés présents dans la salle n'étaient pas les mêmes que ceux de l'audience précédente et, dans leurs voix, leurs regards, elle savait que son statut d'étrangère jouait en leur défaveur. Elle devait presque à chaque fois qu'elle prenait la parole, se justifier en citant le Code civil. C'était épuisant, parce qu'il lui arrivait d'avoir quelques trous de mémoire et alors sa défense s'ébranlait peu à peu. Cette fois, elle ne parvenait pas à jouer sur le bien-être psychologique de l'enfant et s'ils ne lui en faisaient pas la moindre réflexion, l'Irlandaise avait passé assez de temps dans cette salle au cours des années précédentes pour savoir qu'ils étaient mal partis. Mais elle n'en avait rien dit à Namjoon, rien n'était encore perdu et le père de famille aurait paniqué plus qu'il ne l'était déjà.

Une heure et demie supplémentaire s'écoula ainsi, dans un jeu de répondant vorace et le père de famille pouvait sentir que son avocate fatiguait. En face, il y en avait deux et elle, elle était complètement seule pour lui venir en aide. La tête basse, Namjoon sentait la fin approcher. Il n'y avait plus rien à ajouter au dossier, toutes leurs cartes avaient déjà été utilisées et comme il l'avait déjà prévu, il n'avait pas l'argent nécessaire pour faire pencher la balance. Pourtant, il y eut un instant de silence inattendu qui attira finalement son attention. Il releva lentement la tête et découvrit Jieun chuchoter quelques choses à l'un de ses représentants tout en regardant en leur direction. Suivant sa trajectoire, Namjoon se retourna en direction du public et ses yeux se posèrent sur la figure de son compagnon. Ce dernier la fusillait du regard, l'expression figée et l'air sévère. Néanmoins, le père de famille n'eut pas le temps de se questionner plus longtemps puisque l'avocat de son ancienne compagne prit subitement la parole, l'air confiant. Comme si Jieun venait de balancer leur pièce maîtresse et que les dès étaient à présent jeté. Il avait envie de quitter la salle et lui arracher son petit sourire satisfait.

« -Votre honneur, si vous le permettez, ma cliente souhaiterait s'exprimer.
-Permission accordée maître. »

Namjoon suivi la demoiselle se diriger vers le pupitre en bois. C'était la première fois qu'elle allait parler en quatre heures, jusqu'à présent, seuls ses parents et ses avocats s'étaient exprimés au sujet de l'affaire. Un comble, lorsque l'on savait qu'elle était tout de même le sujet de la discussion. Le père de famille remarqua son visage blême, ses membres tremblants alors qu'elle agrippait la petite table avec fermeté sous l'incompréhension de ses parents. Et lui même devait bien avouer qu'il ne comprenait pas tellement ce qu'il se passait. Jamais encore elle n'avait pris la parole dans cette affaire, alors pourquoi maintenant alors qu'elle allait toucher à sa fin sous le verdict des jurés ? Il sentit son pouls s'accélérer, avant de finalement manquer un battement alors qu'une centaine de scénarios se jouaient à l'intérieur de sa tête. Et puis, soudainement, elle ouvrit finalement la bouche après une profonde inspiration, le regard rivé sur l'assemblé.

Et Namjoon crû défaillir.

« -Je souhaite abandonner les charges pesantes à l'encontre de Monsieur Kim Namjoon. » 


Je n'ai pas pour habitude de laisser mes notes en bas de page mais.. Ouais, on y est. C'est un cauchemar qui s'arrête pour Namjoon et ça signe également la fin (pas tout à fait) de Muffin. C'était le dernier chapitre à proprement parlé et je comprends qu'il laisse un sentiment d'inachevé, c'est normal, l'épilogue viendra boucler la boucle. Je ne vais pas commencer mes remerciements maintenant, j'ai tellement de chose à y écrire qu'ils auront un segment à eux seuls.  C'est étrange pour moi de publier ce morceau, sachez le.. De ce fait, si vous avez des questions sur l'histoire, des troubles, des hypothèses sur l'après, je vous écoute, je tenterai de répondre à tout le monde lors des remerciements. 

Un grand merci, 
Byeol-na. 

𝙼𝚞𝚏𝚏𝚒𝚗Où les histoires vivent. Découvrez maintenant