Chapitre 69

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- C’est l’heure.

Je relevai la tête. Mes yeux, habitués à l'obscurité de ma cellule, n’eurent aucun mal à contempler l’agitation qu’il y avait de l’autre côté de mes barreaux.
Le bruit caractéristique d’une clé coulissant dans une serrure se fit entendre, et la porte s’ouvrit, laissant entrer le vice-amiral Momonga accompagné de deux hommes armés et casqués. Des bourreaux… Mes bourreaux.

C’était donc aujourd’hui, le jour où j’allais mourir. Si Sakazuki pensait faire de l’attente un calvaire invivable, que j’en serai venu à supplier la mort, il s’était trompé. Ces jours de répit étaient vite passé, et à présent, je n’avais plus que quelques heures à vivre.

Le vice-amiral resta à bonne distance de moi et me contempla stoïquement. Je soutins son regard sans rien dire. Habituellement, les hauts-gradés n’escortaient pas les condamnés jusqu’à l'échafaud, mais Momonga n’était pas n’importe quel haut-gradé. À l’époque où j’étais Isiris, capitaine de la Marine, il était mon supérieur référent. Et il avait apparemment décidé d'assurer son rôle jusqu'au bout.

Après un long silence, Momonga finit par détourner le regard, et d’un signe de tête, il donna son ordre aux bourreaux qui se hâtèrent d’obéir. Les deux vinrent détacher les chaînes suspendues au mur. N’étant plus retenus contre la paroi de pierre froide, mes bras retombèrent mollement, dans le bruit des chaînes qui ornaient toujours mes poignets. 

- Tu peux marcher ?

Malgré la question posée presque avec sympathie par mon ex-référent, je ne dis rien, me contentant de contempler le sol. Je n'avais pas l'envie de lui répondre, en partie par insolence, mais également car je n'étais pas d'humeur. Sakazuki m’avait certes laissé un temps pour me remettre de mes blessures, mais il ne suffisait pas de bander une plaie pour que celle-ci guérisse. Un rapide soupir m'échappa. C'était une preuve matérielle que les quelques jours qui m'avaient été accordé n'avaient pas pour but de me laisser guérir.

Je posai ma main indemne au sol et m’appuyai dessus pour me relever. Mes muscles blessés, aussi brutalement sollicités après tant de temps dans l’immobilité, me firent serrer les dents et réprimer un gémissement. J’avais l’impression de sentir à nouveau les perles me transpercer le corps entier, et les dégâts que m’avaient causé Every ne me laissaient pas non plus indifférente. Pourtant, je n’avais pas le choix. Je me levai et me tins sur mes deux jambes instables, en faisant autant que possible mine de rien. 

Je fus à peine debout que les bourreaux m’attrapèrent par les poignets, décrochant mes chaînes pour les remplacer par des menottes.  Soudainement, ma tête s’était mise à tourner, me faisant tituber. Je me sentais mal dans tous les pores de ma peau et pire, au plus profond de mon être. Il y avait également qu’à ma faiblesse post-intoxication et les blessures se rajoutait le manque de sommeil. Je n’avais presque pas dormi, et avec les menottes en granit marin qui réussissaient à m’affaiblir beaucoup plus que mes chaînes auparavant, je faillis perdre conscience. Mes yeux s’étaient à moitié fermés tandis que le poids de mon corps avait basculé vers l’arrière, et alors que j’allais définitivement tomber, je sentis un bras prendre ma taille et me retenir. Un des bourreaux avait réussi à me rattraper, et il me remit correctement debout. Je ne lui accordai pas un seul regard.

Une main se posa sur mon épaule. Je tournai la tête. Momonga me jeta un regard presque inquiet, et si j’avais été en meilleure état, j’aurai sûrement éclaté d’un rire cynique, tant sa réaction était hypocrite avec ma situation. Pourquoi se soucier de mes blessures alors que j’étais destinée à mourir dans la journée ? Par un effort de volonté, je dégageai furieusement mon épaule de son emprise. Le vice-amiral haussa un bref instant les sourcils, mais il reprit rapidement contenance. Il fit un signe sec de la main et suite à cet ordre informulé, l’un des bourreaux me poussa vers l’avant. J’obéis, et m'avançai. Mes exécuteurs m’encadraient de chaque côté, bien qu’un peu plus en retrait derrière moi, et Momonga prit la tête de notre cortège.

Durant le trajet, j’avançai à mon rythme : lentement et presque en boitant. Plusieurs fois, j’avais sentis une main dans mon dos m’inciter à aller plus vite, mais je l’avais toujours ignoré. Momonga m’avait de nombreuses fois proposé son aide pour marcher, mais j’avais toujours refusé. J’avais prisonnière, blessée, et future morte, mais il me restait ma fierté, qu’il n’était pas question que je perde. 

Notre groupe finit par arriver dans une cour. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre que c’était là que j’allais être exécutée. Mes yeux aveuglés par la lumière du jour virent quelques centaines de soldats et surtout, l'échafaud au sommet duquel m’attendait l’homme que j’aimais le moins au monde en ce moment : l’amiral-en-chef. Je m’arrêtai un bref instant dans ma marche. Une tape donnée dans mon dos m’ordonna de continuer, mais je restai immobile, à fixer l'échafaud.

Je sentis une larme couler le long de ma joue. Je n’avais aucune envie de mourir. Mais c'était trop tard. Les marines étaient trop nombreux et j’étais trop faible pour tenter toute seule une évasion. Je n’avais pas d’autre choix que de me résigner, et bien que je ne craigne pas la mort, je regrettai amèrement de ne pas pouvoir vivre plus longtemps avec mes proches, de ne pas pouvoir faire plus pour ce monde.

Une nouvelle claque me frappa le dos. Alors, mon corps bougea tout seul, obéissant à l'ordre et avançant, lentement, chancelant, alors que je me forçais à ne pas leur donner la satisfaction de me voir pleurer.

Je suis désolée, capitaine… Je suis désolée. Je n’aurai pas pu tenir la promesse que je t’avais faite il y a longtemps… De toujours revenir. 

Sabo… Pardonne-moi de ne pas t’avoir avoué plus tôt à quel point je t’aime… Et de ne jamais pouvoir le faire.

Shanks... Beckman... Rockstar... Yasopp... Tout le monde… Sabo... Koala… Marco... Papa… Je vous aime tous. Excusez-moi… On m'oblige à vous dire adieu.

Une Question de Justice [One Piece]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant