Chapitre 70

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Autour de moi, il n'y avait pas de bruit, seulement le sifflement du vent. Du coin de l'œil, je pouvais voir les quelques centaines de marines me dévisager avec curiosité. Je détournai rapidement le regard. Je n'aimais pas la façon qu'ils avaient de me regarder, comme si j'étais une bête de foire. Je me concentrai sur ma marche vacillante.
Je baissai la tête, en jetant de temps en temps un regard vers les spectateurs. Garp et Sengoku étaient un peu en retrait du groupe, en compagnie de la Chèvre. Smoker et Tashigi étaient devant avec les vices-amiraux et leurs troupes. Kizaru et un amiral, vêtu d'un manteau de la Marine au tissu intérieur vert, que je ne connaissais pas, étaient positionnés au pied de l'échafaud. Il n'y avait aucun journaliste, aucun escargophone. Sakazuki avait donc tenu parole. Il avait fait en sorte que ma capture et ma mise à mort ne s'apprennent pas. C'était peut-être mieux ainsi. La dernière fois qu'un Empereur était venu au secours d'un de ses nakamas sur le point de se faire exécuter, ça avait tourné au désastre. Je refusai que Shanks connaisse le même sort qu'Edward Newgate.

Arrivée au pied de l'échafaud, Momonga me saisit par le bras et m'aida à monter les marches. Une fois en haut, Sakazuki se tourna vers nous et fit un signe de tête sec. Momonga hocha la tête. Je fus alors poussée jusqu'au bout de la planche en bois, on me mit à genoux et les bourreaux se mirent de part et d'autre de moi, lame en main. Je serrai les dents avec force, tourmentée par la douleur que mes mouvements brusques et forcés m'avaient procuré. Alors que je ravalais ma souffrance, j'entendis un bruit de pas sourd à ma droite. Je relevai la tête et échangeai un regard lourd avec Sakazuki. Il ferma brièvement les yeux, un air irrité sur le visage.

- Tch. Je dois avouer que cet abruti de Kuzan avait raison. Avec du temps et de la discipline, tu aurais fait une bonne amirale.

Il avait murmuré ses paroles entre ses dents. Évidemment. Il n'aurait jamais osé les dire à voix haute. Mes lèvres se retroussèrent en un sourire en coin. Contrairement à lui, je ne chuchotai pas. Au contraire, je parlais aussi fort que je le pouvais.

- Je ne regrette aucun des choix que j'ai fait.

Le poing du Chien de Magma se serra et je vis rapidement ses traits se tendre. Il se retourna, faisant face à ses subordonnés qui, pour la plupart, semblaient nous regarder avec des yeux attentifs. Mon sourire s'agrandit. Peut-être que ma mort ne sera pas inutile, en fin de compte. Peut-être qu'à l'instar du Roi des Pirates, lançant une vague de piraterie depuis l'échafaud, je pouvais encourager et inciter des soldats de la Marine à ouvrir les yeux. C'était la seule chose de bien qui pouvait arriver en ce moment, le seul espoir que je pouvais me permettre d'avoir.

- Voilà ce qui arrive aux traîtres. Retenez bien, ne doutez pas de la Justice, ne contestez pas les ordres. Offrez une entière confiance à vos supérieurs et accomplissez votre devoir, sans quoi, un jour, vous sombrerez. Vous finirez par être corrompus par cette pourriture appelée piraterie ou bien révolutionnaire. Maintenez l'ordre et la paix, servez votre Gouvernement...

Je relevai la tête. Sakazuki avait commencé un discours. Voilà donc ce que j'étais : un exemple pour ceux qui auraient l'idée de réfléchir par eux-même sur la voie à suivre. Je ne le laisserai pas faire. Quitte à mourir, j'allais me battre avec les mots jusqu'au bout.
Coupant l'amiral-en-chef dans sa lancée, je m'écriai :

- Un Gouvernement corrompu qui règne sous le signe de la terreur, qui tait et cache, qui tue des innocents considérés comme gênants, qui ordonne des génocides ou encore adhère à la traite d'esclaves ! Vous soutenez ses actions sans vous en rendre compte. Vos amiraux, votre amiral-en-chef et les plus haut-gradés sont les seuls à avoir conscience de tout cela, et après ils osent vous parler de Justice !
- Aouso !

Akainu avait fait volte-face dans ma direction, le visage bouillonnant de colère. Ce n'était pas son intimidation qui allait m'arrêter, non. Je continuai sur ma lancée :

- La Marine est le Bien, les pirates sont le Mal ? Réveillez-vous ! La Justice, ce n'est pas obéir aveuglément aux ordres en pensant faire ce qui est juste seulement parce que les supérieurs l'affirment. La Justice a besoin d'intelligence, de courage, de détermination, de toujours être remise en question ! Elle ne doit pas être extrême, elle ne doit pas punir sans chercher à comprendre, d'autant plus si elle est corrompue au plus profond de son noyau ! Chaque jour, des gens meurent pour et à cause de cette prétendue Justice que le Gouvernement Mondial nous prêche et que la Marine applique ! Vous tous, êtes-vous sûr de pouvoir avoir confiance en ce système, après tant de crimes qu'il a lui-même commis puis caché ? Rappelez-vous d'Enies Lobby ! Rappelez-vous d'Ohara !
- ÇA SUFFIT !

Une violence douleur me percuta de plein fouet, me stoppant dans mon discours. Le souffle coupé et la joue en feu, je levai les yeux vers l'Amiral de la Flotte. Me gifler ne semblait pas l'avoir calmé, il était totalement hors de lui.

- J'en ai plus qu'assez de ton insolence.
- Tu vas pourtant devoir la supporter jusqu'au bout.

Je me doutais qu'il s'agissait probablement des dernières paroles que je prononcerai, mais ça y était enfin, j'étais prête. J'avais dit tout ce que j'avais sur le cœur, pour le plus grand malheur de Sakazuki et en espérant que mes mots toucheront des cœurs. Je fermai les yeux, un grand sourire joyeux sur les lèvres. 

Les cliquetis de métal d'armes qu'on levait en l'air se firent entendre. Sakazuki n'allait pas tarder à donner le signal. Je respirai profondément, profitant de mes dernières secondes, mais le coup ne vint pas. À la place, j'entendis un rire. Je rouvrais les yeux. Ce rire... Ce n'était pas un rire moqueur, mais un rire de pure joie.

- Eh bien ! J'ignorais que j'avais une telle oratrice dans mon équipage !

Une Question de Justice [One Piece]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant