41. Chat noir

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Le groupe était en tournée et passait par l'Allemagne. Les quatre garçons avaient désormais vendu vingt-cinq millions de singles et quarante-cinq millions d'albums aux quatre coins du monde. Leur dernier album, The Game, était cinq fois disque de platine. Leur salaire annuel était estimé de sept-cents mille livres chacun ce qui les avait fait entrer dans le livre Guinness Des Records. Autant dire que Queen avait maintenant le monde à ses pieds et vivait son apogée. Cela se fêtait. Et même tous les soirs.

Les musiciens s'étaient créé une routine d'excès et gardaient le rythme. Mais au bout de quelques années de succès et de vie chargée de tous les luxes possibles et imaginables que cette quantité d'argent peut permettre, il est difficile de trouver de nouvelles expérimentations capables de restituer pleinement l'exaltation, l'incrédulité, l'admiration et l'envie des débuts et des premiers instants de débauches. Tant de moments uniques que seuls les plus chanceux peuvent se permettre étaient devenus une routine lassante pour le groupe qui en avait usé et abusé à la folie.

Ils avaient tout de même entendu parler d'une boîte sympa dans les environs où ils décidèrent d'aller se divertir ce soir-là. La boîte berlinoise se nommait le Black Cat Club.

Freddie n'était pas là. Comme d'habitude, il avait sa vie à lui dans la communauté gay où Paul l'emmenait chaque soir. C'était incroyable de voir les connaissances de ce type sur les endroits à voir et les personnes à rencontrer, comme s'il connaissait personnellement toute la communauté gay de part et d'autre du globe terrestre.

Le chanteur était devenu le membre le plus excessif de Queen, ses dépenses hebdomadaires en cocaïne et en vodka s'élevaient à mille livres par semaine. Il se renfermait de plus en plus dans son cercle de relation et tentait de correspondre à leurs normes au maximum. Au dernier concert, il avait décidé de porter un mini-short en cuir si serrant et moulant que les roadies avaient même fait un pari pour savoir si, oui ou non, il craquerait.

Le groupe, délesté de son pianiste, entra donc au Black Cat Club. Le sol était crasseux d'un mélange d'une multitude de substances non-identifiables, de paquets de chips, de seringues, d'une certaine poudre blanche répandue un peu partout et de verres renversés avec leur contenu.

Une fois l'entrée passée, l'état de propreté semblait s'améliorer un peu. L'endroit se révéla en fait être un club de strip-tease hardcore. Une puissante atmosphère de grande décadence se faisait ressentir, il y avait de la drogue partout et de toute sorte, de la cocaïne à la weed en passant par l'héroïne et tout un tas d'autres substances illicites.

L'alcool coulait à flots et les gens ne semblaient déjà plus que l'ombre d'eux-mêmes. Un cocktail à la main, des corps se déhanchaient sur la piste de danse comme si leur vie en dépendait, ils ressemblaient à des zombies capables de se mouver avec légèreté dans des gestes d'une lenteur à l'aspect morbide ; c'était comme si leurs âmes les avaient quittés en les condamnant à danser pour l'éternité. Les gens ne réfléchissaient plus et avaient tous un regard vide, comme si plus rien ne comptait mis à part l'instant présent, comme s'il fallait commettre le plus d'écarts possibles pour exister à nouveau, comme si quand on rentrait dans le club, on ne pouvait en ressortir avant l'aube. L'obscurité était faite pour la débauche et les oiseaux de nuit en profitaient avant de redevenir des citoyens lambdas aux aurores. 

Sur la scène, des strip-teaseurs et strip-teaseuses faisaient l'amour avec bestialité et sensualité tout en s'adaptant au rythme de la musique pour accompagner les corps se déchaînant sur la piste de danse en les regardant à peine. Tout était normal dans le domaine de la nuit, plus rien sur terre ne pouvait plus étonner l'habitué d'un Night-club.

Les membres de Queen présents s'installèrent à une table et commençaient la soirée en enchaînant cocktail sur cocktail. C'était devenu la routine pour eux et ils regardaient ce qui se passait autour d'eux, blasés. Ils avaient presque le même air détaché que les zombies dansants, mais pas pour les mêmes raisons. Les corps qui s'agitaient sur la piste du dance-floor pour se maintenir en vie faisaient simplement les frais des excès déjà consommés dès l'ouverture du club, Queen avait encore toute sa lucidité, mais connaissait ce spectacle par cœur. Ils observaient comme chaque nuit les plaisirs malsains de la fortune.

Au bar, un jeune homme s'enfilait son énième verre d'alcool. C'était un jeune punk à la crête violette qui tentait de se donner des airs de bad boy en cachant son corps maigre comme un clou derrière une veste en cuir deux fois plus grande que lui. Il avait bu toute la soirée, et d'après l'œil expert des fervents habitués, c'était la première fois qu'il mettait les pieds dans ce genre d'endroit.

Une mannequin playboy avait été invitée à la soirée. Le punk semblait enfin avoir eu le courage d'aller l'aborder. C'étaient eux que Roger regardait maintenant. Ils dansaient ensemble et le jeune homme avait un sourire qui lui remontait jusqu'aux oreilles.

Après une danse de trois minutes, Roger décida de se lever et invita à son tour la mannequin aux formes idylliques. Le batteur l'avait remarquée au moment où le jeune homme avait osé l'aborder, sans savoir qu'il volait le plus beau des trésors à un jeune garçon qui avait passé toute la soirée à le chercher.

Le punk affichait maintenant une mine dépitée et retourna au bar pour se soûler encore en regardant la jolie fille rousse, aux hanches plus larges qu'il n'en avait jamais vu et à un décolleté si plongeant qu'il aurait pu se noyer dedans, s'éloigner au bras de Roger Taylor qui la conduisait dans l'arrière-salle.

Quand ils revinrent, le garçon était toujours au bar, mais il ne retourna pas tenter une nouvelle fois sa chance auprès de la fille. Roger regagna sa place auprès de Brian et de John. Il culpabilisait un peu d'avoir trompé Dominique à l'instant, mais la pauvre femme devait savoir à quoi s'attendre en tombant amoureuse d'une rockstar. Elle ne lui en voulait pas trop de partir en tournée sans donner de nouvelles tandis qu'elle restait en Angleterre pour s'occuper de leur fils. Mais elle ne savait pas vraiment ce que son compagnon faisait de ses soirées.

Il y eut de l'agitation près du bar, le punk venait de s'écrouler et devait se faire évacuer après le verre de trop. Le Black Cat Club avait eu raison de lui après une seule et unique visite.

Queen était peut-être au plus haut, mais la gravité semblait s'être inversée. Les membres du groupe n'avaient jamais connu un mode de vie aussi pitoyable, bien qu'il soit luxueux. Et les excès commençaient à déborder sur la musique.

Love Cannot DieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant