24. Fantôme...

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13 Juillet 1976

Freddie avait retrouvé un peu de sa rage de vivre, mais restait très triste de sa séparation avec Roger. Les répétitions avaient repris bien que l'ambiance entre le batteur et lui était devenu des plus froides et hostiles. Les deux autres musiciens semblaient l'avoir remarqué, mais n'avaient fait aucun commentaire.

Le chanteur, qui s'était déjà habillé alla dans la cuisine pour petit-déjeuner. Quelques fruits l'attendaient sur la table, il se fit également un croissant beurré avec son café agrémenté d'un peu de whiskey. Mais il ne mangeait pas, la boule qu'il ressentait au ventre lui coupait l'appétit. Tout tournait dans sa tête ; sa séparation avec Roger, le groupe, le Ten Bells, Roger, les disputes, la grange de Rockfield, les répétitions, Roger. Une larme roula le long de sa joue alors qu'il se perdait dans ses souvenirs. C'était ça la boule dans son ventre, ça lui paraissait si proche, mais pourtant hors d'atteinte.

Un mot lui vint en tête, le même qui ne cessait de le hanter depuis que ses jours et ses nuits se mélangeaient,       depuis que Paul lui avait fait découvrir la cocaïne, depuis Roger, le même mot, en boucle, inlassablement: fantôme. Ce mot était fantôme.

Il n'était plus qu'un fantôme. Un être ayant cessé de vivre dans le présent, qui revit le jour de sa mort indéfiniment, qui est incapable de penser à autre chose qu'à ce qui l'arrache à la paix éternelle. Un fantôme n'a pas d'appétit et n'aspire à rien d'autre qu'à retourner quelques instants avant que sa mort ne se produise. Bien évidemment, Freddie était toujours en vie, mais c'était là la seule chose qui le différenciait d'un fantôme. Même si dans ces moments-là, la vie ne signifiait plus rien.

Cela ne faisait que quelques minutes, mais être lui devenait déjà au-dessus de ses forces, il ne voulait qu'une chose : que tout s'arrête. Il aurait pu devenir un vrai fantôme, il y avait pensé. Mais son amour pour Roger l'empêchait de commettre l'irréparable. Il ne voulait pas le priver de son rêve de rockstar, il ne le pouvait pas.

Il inspira un rail de coke et attendit. Au bout de quelques instants, tout avait disparu et il retrouva l'appétit. Lentement, il mangea, savourant chaque bouchée qui lui faisait se sentir vivant. Il tourna en rond dans le salon quelques minutes ou quelques heures. Cela n'avait plus d'importance, le temps n'existait plus. Il se droguait pour quitter sa vie de fantôme, mais en son fort intérieur, il se demandait lequel des deux Freddie avait cessé de vivre, le sobre ou celui qui vivait au paradis artificiel ?

Il décida finalement d'aller réveiller Paul qui dormait encore. Les soirées devenaient de plus en plus endiablées et ne se finissaient plus jamais avant six heures du matin. Les réveils de Freddie, qui était un lève-tôt de longue date, ne se faisaient désormais plus avant treize heures. Il s'approcha du lit de Paul et lui offrit un baiser en guise de réveil.

— Hum... Freddie...

— Bonjour, Paul. Bien dormi ?

— Oui, dit-il en se levant. Mais Freddie, pourquoi me réveilles-tu toujours aussi tôt ?

Le pianiste ne savait pas quoi répondre. En réalité, s'il réveillait lui-même Paul chaque jour, c'était parce qu'il ne supportait plus la solitude. Dès qu'il se retrouvait livré à ses pensées quelques secondes, son esprit se tournait inévitablement vers Roger. Il l'imaginait en train de l'enlacer par derrière tout en lui embrassant la nuque. Mais ce n'était que des pensées, les souvenirs du fantôme qu'il était devenu. Même en franchissant son échappatoire, il ne pouvait l'éviter. Ça lui permettait juste d'oublier sa douleur. C'était si dur pour lui de faire une croix sur les cinq dernières années. Il l'aimait encore tellement... Mais il ne pouvait se rendre à l'évidence ; il avait tout essayer pour sauver son amour, et Roger l'avait laissé tomber. C'est courant chez un fantôme, de contester sa mort. C'était Roger qui avait eu raison de lui, mais il ne l'admettrait jamais. Freddie avait commencé une relation avec Paul pour fermer les yeux et imaginer que c'était Roger. Tous les mots doux, les gestes tendres, ils étaient destinés à celui qu'il aimait véritablement, pas Paul. Freddie se sentait terriblement coupable de lui faire croire à une illusion, de l'utiliser alors qu'il faisait tant pour lui. Le malheureux ne se doutait de rien, ce qui rendait le chanteur encore plus mal. Il se sentait monstrueux.

Freddie rêvait de Roger chaque nuit, c'était devenu son moment préféré, celui qu'il attendait chaque jour avec impatience. Mais Roger, lui, ne semblait pas si atteint que ça. Il était déjà en couple, avec la fameuse Dominique sur qui Freddie avait tant jalousé. Il aurait tellement aimé que le batteur soit là, en ce moment, mais le climat entre eux était tempétueux. Tempétueux, c'était le seul mot qui, à présent, résumait leur relation.

Freddie revint à la réalité et chercha quelque chose à répondre à Paul, mais cela ne fut pas nécessaire.

— Bon, ça fait rien. Il faut bien qu'on commence la journée, ajouta-t-il en embrassant la joue de Freddie. Aujourd'hui, on sort. J'ai aussi invité quelques copains pour une autre soirée.

— Tu es merveilleux.

Ils s'embrassèrent encore une fois, puis, Paul alla s'apprêter. Il emmenait Freddie faire du shopping dans la capitale. Ils commencèrent par Biba. 

— Alors ? Tu as repéré quelque chose, mon amour ?

— Je crois que je vais ressortir bredouille cette fois, chéri, répondit le pianiste avec un sourire amusé par la rareté de cet événement.

— Ho non ! Ça serait triste. Que dis-tu de cette blouse ?

— Et bien...

— Elle t'iras à ravir. On la prend !

— Et ce pantalon ? Il te faut absolument ces chaussures ! Je suis sûr que tu les adores, c'est tout à fait ton style !

— C'est-à-dire que...

— Allez, on passe à ce coin-là !

— Paul, chéri...

— Mais il est déjà dix-sept heures ! Merci de me l'avoir fait remarquer, il faut absolument que je te montre cette boutique de décoration !

Ils passèrent à la caisse et Paul déposa sur le contoire les quelques vêtements qu'il avait pris la liberté de choisir pour Freddie ainsi que la montagne d'articles qu'il avait décidé de s'offrir. Mais bien sûr, au moment de payer, il avait oublié son portefeuille.

— Ne t'inquiète pas, je vais payer.

— Ho, tu es adorable.

Le pire était probablement sa joie de rendre service à Paul. Le sentiment de sécurité qu'il éprouvait avec lui et le peu amour naissant de sa reconnaissance le rendait déjà aveugle et en proie à une souffrance prévisible dont il ne soupçonnait même pas l'existence.

Ils voyagèrent ainsi de magasin en magasin, achetant toujours plus, toujours plus vite, avant qu'il ne soit temps de rentrer faire la fête. Freddie ressentait tout de même un petit pincement au cœur en jetant son argent par les fenêtres. Il en connaissait la valeur pour avoir dû quitter sa terre natale sans ne rien pouvoir emporter en se demandant comment sa famille allait faire pour retrouver un toit. Mais au fond, il aimait se faire plaisir et satisfaire Paul.

Il alla mettre sa nouvelle tenue pour faire plaisir à ce dernier avant que la fête ne commence. Cela faisait un petit temps que ces soirées avaient commencé, Paul avait un don pour trouver des personnes partantes, bien qu'elles soient peu fréquentables. Freddie aimait ce genre de nuit où il était au centre de l'attention et pouvait oublier Roger à coup de shoots d'alcool sans oublier la drogue et le sexe.

Tous ces gens se foutaient de lui et ne prenaient pas la peine de le respecter. Ils étaient là pour son image, pour avoir l'honneur de pouvoir déclarer haut et fort «J'ai coucher avec Freddie Mercury». Mais ça lui était égal, il s'amusait, au paradis artificiel.

Il avait bien dû coucher avec la moitié des invités et dépasser son record de consommation de drogue, mais c'était son seul moyen de s'amuser. Quand tout le monde fut parti, il alla s'endormir impatiemment pour retrouver le Roger de ses songes.



Love Cannot DieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant