59. Stafford Terrace

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C'était le premier janvier et il était midi passé. Freddie et Roger venaient de se réveiller et déjeunaient ensemble. Le chanteur contemplait ses saucisses, sa purée et ses lentilles, cherchant le courage de parler et les bons mots pour le dire.

— Roger ?

— Mouais ? répndit le concerné d'une voix endormie en mâchonnant un bout de viande.

Freddie, qui ne savait toujours pas comment annoncer la chose, opta pour le plus simple.

— J'ai prêté Stafford Terrace à Paul.

— Tu as quoi ?! s'exclama le batteur parfaitement réveillé par la nouvelle.

Roger toussa car il venait d'avaler de travers.

— Il n'avait nulle part où aller, pas d'argent... J'ai voulu dépanner.

— On y va !

— Attends ! Termine au moins ton assiette, on ne va pas gaspiller.

Freddie était fatigué de mener la grande vie. Il faisait à nouveau attention aux choses simples, comme au temps où il vivait complètement fauché dans un appart moisi avec Roger.

Le musicien ne se fit pas prier et mordit dans sa saucisse après avoir englouti une grande fourchette de purée. Il avala ses lentilles à la quatrième vitesse en bronchant. Freddie se dit qu'il ne pourrait pas retenir les ardeurs du blond très longtemps et qu'il ferait mieux de suivre le rythme en accélérant la cadence. Cinq minutes plus tard, ils quittaient Garden Lodge.

Une fois à Stafford Terrace, Roger tambourina à la porte, sur le point de l'enfoncer comme il l'avait déjà fait chez Mary auparavant. Mais la main de Freddie qui s'était posée sur son épaule le calma un peu, il se contentait de marteler le bois de la porte avec toute la force dont ses poings disposaient sous le regard inquiet de Freddie qui se demandait s'il n'allait pas la transpercer.

Trois minutes plus tard, la porte s'ouvrit lentement pour dévoiler un Paul, à la gueule de bois, qui venait de sortir du lit, comme en témoignaient les traces de couvertures sur son visage. Roger entra tête baissée en bousculant Paul, suivi de près par Freddie qui ne savait plus quoi faire pour le calmer.

Le hall d'entrée était parsemé de gobelets en plastique, de préservatifs, de vomis ainsi que des traces de cocaïne. Roger s'aventura dans la cuisine avant de ne pouvoir en apercevoir plus : c'était le même désastre, supplémenté d'éclats de verre provenant de la vitre brisée du four, un impact troublant la surface lisse du frigo, le robinet arraché pendant lamentablement à l'évier par un misérable tuyau, le tout dans un bordel sans nom constitué de chips, de mouchoirs, de serviettes, de coupes de champagnes et d'autres choses encore.

Roger se rua d'un coup vers le locataire après avoir embrassé la pièce du regard pendant à peine un peu plus d'une seconde.

— Paul ! Espèce de....

Mais il fut stoppé dans son élan par le bras de Freddie qui lui barra le torse. Roger était à la fois frustré et fier que le chanteur veuille régler ça lui-même.

— Tu n'es qu'une ordure ! J'ai décidé de t'accorder ma confiance une seconde fois. Et Dieu sait que les deuxièmes chances, c'est rare ! Ça fait des années que je t'entretiens, que je t'offre un toit, de l'argent, même de l'amour ! Et c'est comme ça que tu me remercies ?

— Fred', tenta de protester Paul d'une voix traînante en chancelant, pas encore remis de la soirée de la veille.

— Tu ne vaux pas mieux qu'un insecte. Tu le sais, ça, au moins ? Pas mieux qu'une mouche ! Les mouches qui se délectent des restes. Les sales, hideuses, mouches à merde ! Mais tu ne peux plus te délecter, Paul. Parce qu'il ne reste plus rien ! Tu as tout pris ! Jusqu'à ma santé ! Tu n'en as pas marre d'abuser des gens ? Je te plaindrais presque de mener une vie si dénuée d'intérêt. Presque, car tu es un salaud fini et qu'il n'y a absolument rien de bon en toi. Rien ! Même les mouches servent à nourrir les araignées, mais toi, tu ne sers à rien du tout ! Saloperie !

Freddie s'arrêta un instant pour regarder Paul. Il avait encore trop d'alcool dans le sang pour se lancer dans un discours misérable sur sa pauvre enfance et son horrible père, alors il se contentait d'afficher une mine de chien battu, sauf que cela ne fonctionnait plus. Le pianiste voyait enfin son vrai visage en intégralité. Il était vraiment pitoyable à le supplier ainsi du regard en jouant le malheureux. Mais de la pitié, Freddie n'en aurait plus.

— Je veux que tu aies quitté mon appartement d'ici une heure. Et que je ne revoie plus jamais ta gueule !

Freddie partit sans ajouter un mot ni même un regard et franchit le seuil de la porte, prêt à revenir dans une heure. Roger était sur ses talons, mais au moment de franchir le chambranle de l'entrée, il fit demi-tour et retourna dans la cuisine où se trouvait Paul.

— Ça t'appendra, connard !

Il lui asséna un crochet du droit bien porté au visage qui le mit instantanément KO. Roger n'était pas parvenu à conserver son sang-froid, mais cela lui était égal. Il avait fait ce qu'il avait à faire pour protéger l'amour de sa vie qu'il rejoignit quelques secondes plus tard.

— Finalement, on devrait peut-être lui accorder un délai plus important. Je ne suis pas certain qu'il sera en état de partir d'ici une heure.

— Roger.

— J'ai craqué, désolé. Mais il l'a bien mérité !

Les deux amants retournèrent au Ten Bells pour patienter. Cela faisait longtemps qu'ils n'y étaient plus retournés. Depuis leur séparation. Ce café, c'était leur endroit, chargé des plus beaux et des pires moments qu'ils avaient passés ensemble. C'était leur histoire. Et ils comptaient bien poursuivre son écriture pendant encore de longues années.





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