20. La distance du rapprochement

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17 juin 1976

A Night at the Opera fut un vrai succès. Malgré les critiques sévères, le monde entier était fou de cet album, on ne parlait que de ça. Bohemian Rhapsody devint un succès planétaire.

L'argent commençait enfin à rentrer pour le groupe qui perdit sa situation précaire. Brian quitta son petit appartement miteux en sous-sol, John put offrir un logement spacieux à sa famille, et nos deux amants emménagèrent dans une maison cossue à Fulham. Ils avaient tous obtenu la gloire qu'ils méritaient depuis si longtemps. Fini, les médiocres ne les disant pas à la hauteur, ils avaient prouvé leur grandeur et les gens avaient fini par le reconnaître.

Freddie ouvrit les yeux dans la chambre de sa nouvelle demeure, il souriait. Il touchait enfin à la célébrité et tout ce que cela entraînait. Il se trouvait actuellement réfugié dans les bras de Roger, où il se sentait si bien. Ils étaient tous les deux, au calme, unis dans une chaleureuse, bien qu'inconsciente, étreinte. Plus tard, ils devraient rejoindre le groupe, travailler, se surpasser, peut-être encore se disputer sur des accords à supprimer ou à rajouter, sortir, probablement être reconnus, dévisagés et surveillés avant de rentrer éreintés pour une autre nuit, sans réelle discussion de couple.

Aucun répit pour eux, c'est pourquoi Freddie aimait tant le matin, ils étaient ensembles, seuls, et les soucis de la veille étaient oubliés pour en laisser place à de nouveaux. Mais pour l'instant, ils étaient juste amoureux et ils allaient en profiter à fond, bien que le peu de temps dont ils disposaient leur était déjà compté.

Le chanteur se redressa doucement, et de sa main droite, caressa la joue de son amant toujours enfui sous les couvertures afin de le réveiller tendrement. Il fallut quelques minutes avant que le blond ne daigne ouvrir l'œil. Les deux musiciens restèrent allongés l'un contre l'autre un certain temps, en silence, aucun des deux ne voulait briser cette atmosphère de calme avant de retourner dans leur routine infernale de surmenage musical, ils préparaient déjà leur prochain album. Ils voulaient profiter du calme le plus pleinement possible, du moins, c'est ce qu'ils se disaient.

Leur petit moment de répit touchait déjà à sa fin, ils partirent s'apprêter, ce qui prit un certain temps vu l'importance qu'ils accordaient à leurs apparences, puis, après avoir pris le petit-déjeuner, ils se mirent en route.

Beaucoup de choses avaient changé depuis les premières représentations, les petites répétitions conviviales en comité restreint dans le garage étaient désormais très loin ; tout se déroulait maintenant dans un studio, entouré de roadies et de techniciens. On passait aux choses sérieuses, et bien que Freddie et Roger semblaient s'acclimater à la vie de star ( ce qui n'était pas vraiment le cas de Brian et John ), tous avaient un petit pincement au cœur en se remémorant cette époque révolue, quinze ans auparavant.

L'ambiance au studio était assez pesante. Le groupe était en désaccord permanent et se disputait sans cesse, personne n'osait dire mot. Personne, excepté Paul. Il n'hésitait jamais à ajouter son grain de sel pour appuyer les propos de Freddie, ce dernier semblait être le seul à ne pas le remarquer, ou à ne pas trouver ça trop étrange ou dérangeant.

La jalousie rongeait Roger. Pour l'instant, tout allait bien, mais elle s'emparait de lui petit à petit et il finirait bientôt par se laisser submerger. On ne pouvait deviner d'avance ce qui se passerait quand cela se produira, ou personne ne voulait y penser. Roger essayait de faire comme si de rien n'était, mais au fond, il avait peur. Il savait que ça finirait par arriver ou peut-être se trompait il ? Mais lui-même n'y croyait pas.

Ils étaient tous en pleine élaboration de chansons et travaillaient beaucoup trop dur. Ils arrivaient néanmoins tous à se mettre d'accord sur une chose : tout devait être parfait.

— Non, Fred'! Je ne peux pas faire ça.

— Mais bien sûr que tu le peux, chéri. C'est largement dans tes capacités !

— Tu pourrais faire un effort, Brian, c'est pas bien compliqué, rajouta Paul qui ne fit qu'envenimer la situation.

— Je te demande pardon ? Depuis quand tu fais parti du groupe ? Toutes mes excuses, Freddie aurait dû me prévenir qu'on avait une nouvelle recrue.

Brian était loin de dire tout ce qu'il pensait vraiment des interventions de Paul, il avait bien trop de tact et de politesse pour ça. Roger, en revanche, ne tenait plus et se fit un plaisir de prendre les choses en mains en entrant dans le jeu de Brian.

— T'es là pour jouer de quel instrument ? Je ne vois plus vraiment d'option. Ha, si ! Tu te mets à l'orgue pour orchestrer l'enterrement du groupe ? On ne reçoit pas d'ordre de ce moins-que-rien, Freddie. Je ne vois pas ce qu'il fait là et si ça continue, on s'casse!

— C'est une réaction plutôt excessive. Vous ne croyez pas ? Paul n'est là que pour nous aider, et il se débrouille à merveille, ajouta-t-il avec un sourire bien veillant adressé au concerné. Je ne vois pas ce qui vous dérange, mes amours.

— Là, c'en est trop !

Roger se leva du tabouret de la batterie, furax, se dirigeant en trombe vers la sortie accompagné du guitariste. John ne tarda pas à suivre le mouvement, mettant fin à la répétition. Après quelques instants de vide, tout le monde avait quitté le studio.

— Paul ?

Le chanteur ne trouvait plus ses mots, il était perdu et la réaction de Roger le laissait dans l'incompréhension la plus totale. S'il l'aimait vraiment, il devrait être heureux que quelqu'un le soutienne. Sa vie s'était considérablement améliorée ces derniers temps, il vivait enfin son rêve, et pourtant, il se sentait plus loin de ce qu'il voulait qu'il ne l'eût jamais été.

— Ne t'occupe pas de ça, Freddie. Ils n'arrivent juste pas à te comprendre comme moi, je te comprends. Tu es un véritable artiste et ils ont juste un peu de mal à briser les codes. La perfection ce n'est pas donné à tout le monde, ça en effraie beaucoup.

La main de Paul se leva jusqu'au menton du pianiste au moment où il prononçait ces paroles, cette main caressant son menton et le bas de sa joue était la seule chose qui retenait les sanglots du frontman. Roger aurait déjà dissipé ses ténèbres, le brun ne faisait que lui apporter une infime lueur. Mais il n'avait que cette lueur à laquelle se raccrocher, et cela valait bien mieux que le néant. Il avait besoin de soutien, et alors que tout le monde avait quitté la pièce, Paul était là.

Love Cannot DieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant