63. Trêve

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Roger se réveilla subitement alors que Freddie quittait le lit. Il n'essaya pas de le retenir, mais le suivit quelques instants plus tard. Le chanteur était recroquevillé sur lui-même dans le fauteuil, sanglotant. Roger s'approcha doucement de lui et le prit dans ses bras.

Farrokh se sentait mal d'avoir pleuré devant lui, mais les nuits où la fièvre le privait de sommeil étaient de plus en plus insupportables. Il se blottit contre son conjoint en chassant la tristesse de ses traits.

— Ça ne peut plus durer ! s'exclama Roger. Je suis sûr que le docteur t'a parlé de traitements. Je sais que tu n'en veux pas, mais moi je n'en peux plus de te voir souffrir !

Freddie releva les yeux vers lui, étonné.

— Tu crois vraiment que je ne vois pas quand tu quittes le lit la nuit pour ne pas me réveiller ? Quand tu me laisses seul, le matin, parce que tu es trop mal pour affronter la journée ? Quand tu transpires ? Ou même que tu as perdu du poids quand je te sers dans mes bras ? Tu veux qu'on soit époux. Mais un mariage, c'est affronter les choses ensemble ! Tu n'as pas à subir ça seul. Je suis là, avec toi. Jusqu'à la fin.

— Pardon, dit Freddie en reniflant.

— Alors ? Le médecin t'a parlé de quelque chose ?

— Roger, je ne suis pas sûr que...

— Pas sûr de quoi ? Où est le Freddie qui fonçait tête baissée dès qu'il y avait une infime chance de réussite ? Je comprends tes réticences, mais réfléchis à tout ce qu'on pourrait vivre ensemble avec un peu de temps.

Freddie soupira, vaincu.

— Je ne sais pas... Je t'avoue que je n'écoutais pas vraiment. J'étais un peu sonné, tu comprends ?

Roger l'embrassa avant de se lever pour enfiler sa veste.

— Je vais me renseigner.

— Maintenant ?

— Oui, maintenant. Je ne te laisserai pas souffrir une seconde de plus.

Le lendemain, ils attendaient le docteur pour une transfusion sanguine. 

— Tu ne devrais pas être aussi catégorique avec la chimio, commença Roger.

— Ne me parle pas de chimio, c'est non !

Le blond était peiné de voir Freddie refuser ce qui pourrait prolonger sa vie, mais la transfusion était déjà un début.

On sonna à la porte. L'instant d'après, Roger apparut dans le salon avec un médecin.

— Ça va durer longtemps ? demanda Freddie.

Le docteur semblait embêté par la question et regarda Roger qui lui donna son approbation avant de répondre.

— Douze heures.

Freddie eut le souffle coupé. Il allait perdre douze heures de son temps si précieux. Roger vint lui saisir la main avec un sourire encourageant.

— Ce sera mieux après, tu verras.

Freddie inspira profondément et regarda l'homme en blouse blanche.

— Allons-y.

Le médecin hocha la tête et s'approcha du pianiste pour lui relever la manche et débuter la transfusion. Il resta le premier quart d'heure pour s'assurer que tout se passait bien.

— Messieurs, excusez-moi, mais vous n'êtes malheureusement pas mes seuls patients. Je viendrais régulièrement vérifier que tout se passe bien.

— Merci docteur, dit Roger en le laissant filer.

— Tu peux partir, tu sais, dit Freddie en mettant fin au silence qui avait suivi le départ du médecin. C'est long, douze heures. Et tu as sans doute des choses plus intéressantes à faire que de rester avec un malade.

— Non, Freddie. Je n'ai pas mieux à faire que de rester avec l'amour de ma vie pour qu'on passe le plus de temps possible ensemble.

Cinq minutes passèrent sans que personne ne parle. Ils ne savaient pas quoi se dire dans ces circonstances.

— C'est vrai que c'est long douze heures, dit Roger avant de disparaître.

Il revint une poignée de secondes plus tard avec quelque chose en main.

— Un livre ? Pas très rock'n'roll tout ça.

— On se fait vieux, que veux-tu ? Et ce n'est pas comme si on avait mieux. Je crois que ça pourrait te plaire.

— Tu sais bien qu'en temps normal, la lecture c'est pas vraiment ma tasse de thé, Rog'. Mais pendant ces douze heures où je suis coincé sur cette chaise, je suis tout ouï !

Le batteur sourit et commença la lecture.

— "Les fous, les marginaux, les rebelles, les anticonformistes, les dissidents, tous ceux qui voient les choses différemment, qui ne respectent pas les règles. Vous pouvez les admirer ou les désapprouver, les glorifier ou les dénigrer. Mais vous ne pouvez pas les ignorer. Car ils changent les choses. Ils inventent, ils imaginent, ils explorent. Ils créent, ils inspirent. Ils font avancer l'humanité. Là où certains ne voient que folie, nous voyons du génie. Car seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu'ils peuvent changer le monde y parviennent."

—  Tu as raison, ça me plaît !

Roger lui offrit son plus beau sourire avec un baiser et poursuivit la lecture. Le temps passa beaucoup plus vite ainsi, et quand Freddie en eut marre, ils jouèrent au scrabble. Le médecin passait fréquemment. Tout allait bien.

Les jours qui suivirent, Freddie allait mieux et pouvait dormir des nuits complètes dans les bras de son époux. Ils avaient au moins un instant de répit, une trêve à leurs malheurs qui ne tarderaient pas à revenir à la charge.

Love Cannot DieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant