26. Sous tension

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9 Juillet 1977

— Bon, okay, j'ai compris. Et que pensez-vous de celle-là ?

Le groupe était en pleine répétition. Les quatre garçons tentaient désespérément de se mettre d'accord sur les chansons qui figureraient dans leur prochain album.

Roger voulait partir en tournée pour retrouver la foule et décompresser un peu, il avait besoin de retrouver les acclamations du public. Il s'empressait de vite en finir avec l'enregistrement de l'album pour partir le plus tôt possible. Mais Freddie recommençait à contester toutes ses chansons en disant qu'elles n'étaient pas dans l'esprit de l'album. Il commençait sérieusement à en avoir ras le bol.

Il jouait sa dernière carte en suggérant Sheer Heart Attack, une chanson qu'il avait composée pour leur troisième album, environ plus de trois ans auparavant. Le titre avait hérité du nom de la chanson, mais celle-ci ne se trouvait même pas dedans ! Roger en avait marre.

— Tu as raison Rog'. Il est tant qu'on s'en serve, je ne veux pas laisser tomber ce son à l'eau.

— Ha, merci Brian. Enfin quelqu'un de sensé.

— Bon, ok pour celle-là, annonça finalement Freddie presque à contre-cœur.

Roger venait de remporter cette bataille, mais pas encore la guerre.

— Bon, les gars. C'est pas tout ça, mais, moi, j'aimerais bien en finir rapidement avec cet album et partir en tournée. De toute façon, on n'a pas le choix, on doit enregistrer dans un mois.

— Partir en tournée ?

— Oui, Brian. Partir en tournée, comme à chaque fois qu'on sort un album.

— C'est juste que.. Chrissie et moi, on aimerait avoir un enfant. On est en train d'essayer et si...  Je veux être là pour elle pendant sa grossesse.

— Brian, commença Roger en soupirant. On va partir en tournée. Tu as le droit d'être un gentleman, d'avoir tes petits principes et tout ce que tu veux, mais tu ne peux pas pénaliser tout le groupe. Veronica est enceinte et John ne se plaint pas, alors fait un effort. Je veux partir en tournée !

— Alors ça y est. Monsieur Taylor fait sa carrière solo et devient individualiste.

— Moi, au moins, je continue de venir bosser, dit ce dernier en lançant un regard insistant sur Freddie.

C'était la phrase de trop pour le chanteur qui partit prendre l'air. On avait beau être en été, Freddie avait froid. Sans doute le froid de la tristesse remplie de remords qui vous glace le sang au plus profond de votre être et ne laisse pas l'âme intacte.

Il s'assit sur la petite marche qui séparait la porte du sol et alluma une cigarette. Ses yeux marrons, qui était en général si chaleureux n'étaient plus que deux billes foncées, froides, hostiles et remplies de larmes qui scrutaient les saletés du trottoir à la recherche de réconfort à son mal-être. Mais les vieux chewing-gums écrasés sur les pavés depuis des mois ne pouvaient pas y faire grand chose. Les mots de Roger venaient de lui faire très mal, vraiment très mal. Il n'avait jamais été très ponctuel, qu'il soit à l'heure relevait carrément du miracle, mais ces derniers temps, il était vraiment à la masse. Il avait des difficultés à travailler et arrivait parfois après plus de la moitié de la séance.

Pourtant, Roger avait raison sur un point : partir en tournée lui ferait le plus grand bien. Reconquérir la foule, entendre ses applaudissements et ses cris d'enthousiasme, sentir tous ces gens suspendus à ses lèvres à corps et âmes. Tout ça lui manquait, il avait besoin de reprendre cette confiance en lui qu'il était sur le point de perdre.

Il fallait que les gens le regardent à sa juste valeur, comme la star qu'il était, le showman insaisissable et hors de portée que sa célébrité lui apportait, et non comme le vulgaire objet d'un désir bientôt assouvi comme il le voyait dans les yeux des "amis" de Paul. Paul l'avait aidé à se sentir mieux, c'est vrai, mais ça lui faisait un peu de mal parfois, bien qu'il continue de lui vouer une confiance aveugle.

Il voulait monter sur scène et se donner en spectacle comme il ne l'avait jamais fait. Leur clouer le bec, à tous ces sceptiques, en leur montrant indéniablement qu'il était Freddie Fucking Mercury et qu'il pouvait séduire toute la salle s'il le voulait. Et surtout, que ceux à qui ça ne plaît pas aillent se faire foutre. Mais pour ça, Roger avait encore une fois raison : il fallait un album.

Freddie avait retrouvé sa motivation, ce qui équivalait au courage de retourner dans la salle, bien que ce qui le poussa véritablement à rejoindre les autres était sa cigarette qui n'était désormais plus qu'un mégot se consumant.

Il fallait remplir l'album et il allait le remplir avec plein de nouvelles chansons, quitte à s'enfermer seul dans une pièce pendant des jours. Le chanteur sentait sa passion revenir, plus forte, plus grande. Mais cette subite joie ne fût que de courte durée.

Queen retravaillait Sheer Heart Attack, la tension avait diminué d'un cran ce qui facilitait grandement le travail de la cohésion. Tout se passait bien, la tâche avançait, tout comme l'heure malheureusement, et soudainement, la porte s'ouvrit mettant fin à la musique.

En découvrant la personne qui venait d'entrer, deux visages changèrent particulièrement ; celui de Roger s'étira en un large sourire tandis que celui de Freddie peinait à dissimuler une profonde tristesse qui venait de ressurgir d'un coup.

C'était Dominique. Elle venait chercher Roger, inquiétée par l'heure tardive. Elle embrassa son compagnon, ce qui faillit arracher quelques larmes au pianiste qui n'arrivait presque plus à les dissimuler. Et ils repartirent main dans la main suivis rapidement de Brian et John que leurs compagnes attendaient impatiemment.

Il ne restait plus que Freddie. Seul. Il se ralluma une clope et partit marcher pour se vider la tête sous le ciel étoilé. Roger... Il n'était pas sûr de pouvoir se faire à cette nouvelle exposition de celui qu'il aimait encore tant. Ça lui donnait aussi beaucoup d'espoir pour la tournée qu'il attendait afin de briller à nouveau comme tous ces points lumineux au-dessus de lui.





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