34. Nuits de folie

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27 Avril 1980

Le groupe, de nouveau à Munich, s'apprêtait à sortir en club pour une nouvelle nuit de débauche. Ils avaient découvert une boîte : le Sugar Shack.

- Alors, qui est de la partie ?

Ils levèrent instantanément tous la main, jusqu'à ce que Paul ne murmure quelque chose à l'oreille de Freddie.

- Tu veux vraiment aller avec eux ? Je connais un endroit bien mieux.

Le chanteur se fit convaincre et renonça à accompagner ses amis.

- Tu te dégonfles Fred' ? Tu veux pas faire connaissance avec le Shack ?

- La discothèque la plus chaude du monde ! rugit aussitôt Roger.

- Tout compte fait, non. Désolé, j'avais oublié mais j'ai d'autres projets pour ce soir, dit-il en regardant Paul.

Ce dernier avait l'air confiant en arborant son petit sourire satisfait méprisable. Les autres membres de Queen ne dirent rien, mais échangèrent tout de même un regard entendu, de plus en plus préoccupés par l'état de leur ami. Une fois le sujet clos, les deux amants se mirent en route.

- Où est-ce que tu m'emmènes, comme ça ? demanda Freddie au bout de quelques minutes de silence.

- Chez Henderson. La meilleure boîte gay de Munich. Ha ! J'ai oublié de te dire. J'ai invités quelques copains du coin à nous rejoindre, tu m'en veux pas ?

- Non, répondit le pianiste en se forçant à sourire.

Il aurait préféré une soirée en couple, à deux, ça faisait longtemps qu'ils n'en avaient pas eu, s'ils en avaient déjà eu. La mémoire commençait à faire défaut à Freddie, brouillée par la drogue et l'alcool.

De leur côté, Roger, Brian, John et Mack, le producteur du prochain album, passaient un très bon moment. Ils restèrent jusqu'à la fermeture, il devait être cinq heures, et allèrent ensuite au marché, à peine ouvert, pour acheter une bouteille de champagne et finir la fête dans la chambre de Roger.

En traversant le couloir de l'hôtel, ils croisèrent Freddie et lui proposèrent de venir avec eux. Mais le chanteur refusa. Il était toujours accompagné de Paul, ainsi que d'autres jeunes hommes que le groupe n'avaient jamais vu. Il faisait la fête de son côté. Sans eux. Roger prit cela sur une touche d'amertume, mais chassa vite ses sombres pensées avec les autres. Seulement... Freddie lui manquait, le savoir en train de coucher avec d'autres que lui le mettait toujours en colère. La jalousie ne le quitterait probablement jamais.

Le reste de leurs soirées suivait la même recette. Queen était devenu, avec Mack, les clients les plus fidèles du Sugar Shack, devenu "Le Bureau", tandis que Freddie faisait la fête de son côté chez Henderson avec Paul et son nouveau gang. Ensuite, ils retournaient acheter du champagne pour terminer dans la chambre de Roger. Sans Freddie. Enfin, ils allaient dormir et se levaient en milieu d'après-midi pour prendre un petit-déjeuner et se mettre à travailler avant de retourner en boîte.

Après avoir rendu de nombreuses visites au Shack, Queen se rendit compte de n'avoir jamais entendu une de ses chansons. Le groupe voulu aussitôt y remédier. Brian, qui avait carburé au vodka tonic toute la nuit, eut une subite inspiration. Les paroles du titre citaient même le Shack. Mais ce club avait la qualité de posséder une superbe sono. Le groupe, en clients habitués, s'y rendit pendant la fermeture afin de voir ce que la nouvelle composition donnait. Ils laissèrent même la maquette dans l'espoir que le morceau passe de la nuit. Ce fut malheureusement un échec de plus. Après une étude minutieuse des points communs que possédaient toutes les chansons passant au Bureau, menée par Brian, il en vint à la conclusion qu'il fallait du groove et de la profondeur pour que cela fonctionne.

Roger, quand à lui, remarqua que les chansons de Queen, pleines à craquer, contrastaient violemment avec les tubes légers du Shack. Il fallait aussi aérer la musique.

Le lendemain, pendant un break, Deakey prit sa basse et joua un superbe rif parfait pour être présenté au Sugar Shack. Mack semblait porter son attention sur la nouvelle composition de John.

- Que penses-tu de ce rif ? demanda-t-il alors.

- Laisse-moi essayer quelque chose ! dit alors Mack, prit d'une folle inspiration. Le producteur créa alors une boucle de batterie sur laquelle John joua ; ça prenait forme. Freddie porta alors son attention sur ce qui se passait.

- Tu as une mélodie ? Quelle genre de voix tu imagines ?

- Je n'ai pas grand chose, juste un truc comme "Another One Bites The Dust"

- C'est énorme ! C'est super ! Je vais m'y mettre tout de suite !

Le chanteur était vraiment emballé par cette chanson, cela ne semblait pas être le cas de Roger.

- C'est pas du rock. Putain, qu'est-ce qu'on est en train de foutre ?

- Si tu nous laisses faire, peut-être qu'on passera enfin au Sugar Shack.

- Non, je déteste ce truc.

- Je suis à fond pour, alors, intervint Freddie encore plus défoncé qu'à l'accoutumée : sa nuit avait était particulièrement chargée.

Roger devint fou de rage et empoigna le chanteur qui prenait un malin plaisir à le contrarier. Ce dernier répondit et la bagarre frôla d'éclater avant que Brian n'intervienne.

- Et oh, Mohammed Ali, on se calme.

Le guitariste n'avait pas la moindre idée de ce que Deakey faisait, mais il avait décidé de lui faire confiance. La situation restait tendue, mais Roger consentit à jouer et Freddie improvisa des paroles comme il ne l'avait plus fait depuis longtemps. Sentant que cette fois, ils tenaient quelque chose, le travail fini, ils repartirent s'amuser.

Et ce soir-là, Queen passait au Sugar Shack. Another One Bites The Dust avait passé le test là où les autres avaient échouées.



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