65. Partir

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Les membres de Queen étaient en studio. Ils terminaient la composition d'un album qu'ils enregistreraient incessamment. La concentration des musiciens était rivée sur leurs instruments pour régler les derniers détails d'une chanson quand Freddie s'arrêta de jouer soudainement.

—  Les gars, vous ne voulez pas plutôt qu'on enregistre l'album à Montreux ? Ça nous ferait du bien de changer d'air.

— Mais Freddie, je croyais que tu détestais Montreux, objecta Brian. Tu disais que tu t'éclatais autant qu'un rat crevé et que la seule distraction était le lac quand il y avait des cygnes dessus.

— C'est vrai. Je détestais Montreux. Mais c'était il y a si longtemps ! J'ai mûri et j'ai envie de me poser. Près de ce lac, justement. Regarder l'eau paisible et composer pendant qu'on enregistre l'album. Un peu comme à Rockfield.

— Tu n'as pas changé tant que ça, tout compte fait. On s'attèle seulement à la tâche que tu en redemandes déjà.

— Je veux composer un maximum. Tant que je le peux encore...

Brian et John échangèrent un regard inquiet tandis que Roger baissait les yeux. Les deux premiers chassèrent leurs spéculations en se persuadant qu'il ne s'agissait que d'une autre folie de Freddie, que tout allait bien et que le groupe perdurerait encore des années. Dans la pièce, s'était installé un silence que Freddie trouva le courage de rompre après une vague hésitation.

— J'ai quelque chose à vous annoncer.

Tous les yeux étaient rivés sur lui.

— Je l'ai attrapé.

— Attrapé quoi ? demanda John qui refusais catégoriquement de voir les choses en face.

— Le SIDA.

L'air amusé du bassiste se changea en un rictus. Il attendait la suite. Il attendait que le pianiste avoue qu'il ne s'agissait que d'une plaisanterie de sa part. Une plaisanterie de très mauvais goût que John lui pardonnerait en se sentant soulagé. Mais il n'y avait pas de suite. C'était fini.

Les yeux du blond brillaient. Parce que cela faisait mal de l'entendre à voix haute, parce que c'était le début de la fin. La fin de tout. De leur amour. De sa vie avec Freddie. Et donc l'écroulement de son univers. Mais son regard rayonnait aussi d'une lueur d'admiration. Il était si fier que Freddie ait le courage d'en parler. Seulement, il savait qu'il le faisait uniquement pour que Queen mette un coup d'accélérateur, parce qu'il sentait qu'il ne pourrait peut-être pas enregistrer d'album après celui-ci.

Brian avait du mal à retenir ses larmes. La sentence, qu'il redoutait depuis un certain temps déjà, venait de s'abattre sur lui, nette et tranchante. C'était trop dur à encaisser et ses yeux rougis ne tardèrent pas à ruisseler le long de ses joues crispées. Il n'était pas seulement triste. Il était aussi en colère. Pourquoi Freddie ? Ça aurait pu être n'importe qui, ça aurait dû être n'importe qui, mais c'était tombé sur Freddie Fucking Mercury, un de ses plus chers amis sans qui il sentirait un gouffre immense. 

Les yeux de Brian, John et Roger qui exprimaient tous le chagrin de façon différente convergèrent à nouveau vers le chanteur après avoir digéré l'information. Freddie était soulagé d'avoir avoué la vérité. Il était fatigué de mentir à ses amis et ne le faisait que pour leur épargner l'inquiétude.

Ne pas avoir le temps de chanter tout ce qu'il avait encore à dire provoquait une grande frustration au chanteur. La vie entière n'aurait pas suffit pour qu'il exprime tout à travers sa musique. Mais il aurait pu en dire tellement plus avec un délai supplémentaire. Seulement, la banque de la vie est sévère et n'accorde aucun crédit, elle prend uniquement les intérêts sans rien en retour.

  Il se sentait aussi coupable d'abandonner Roger, d'avoir été naïf et imprudent. Il était cependant trop tard pour regretter. De toute manière, il ne regrettait rien. Ses erreurs lui avaient permis d'ouvrir les yeux sur Paul et de vivre à deux-cent à l'heure ; maintenant il voulait juste ralentir un peu pour profiter des petites choses qu'on invisibles à la vitesse de la lumière. 

Depuis sa tendre enfance, il était convaincu qu'il ne ferait pas de vieux os ; il était exactement ce pour quoi il était né : une rockstar. Et les légendes s'éteignent au sommet de la gloire. Il savait que l'étoile Farrokh Bulsara s'éteindrait bientôt, mais il savait aussi que la lueur de Freddie Mercury continuerait de briller à jamais et cela rendait cette première idée plus supportable.


Ses yeux marron croisèrent ceux larmoyants du guitariste. 

— Ne pleurez pas. Je vous interdis de pleurer, de me prendre en pitié, ou pire encore, de m'assommer avec votre compassion. Je suis le seul responsable de ce qui m'arrive, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Alors ne soyez pas désolés ou quoi que ce soit, parce que vous n'en pouvez rien. Chaque seconde perdue à vous morfondre est du temps perdu pour la musique à laquelle je veux consacrer ma vie entière. Jusqu'à la fin.


Roger avança jusqu'à Freddie pour le serrer dans ses bras à l'en étouffer. Il fut vite rejoint par Brian et John. Tous les trois étaient en larmes alors que le pianiste souriait : ils étaient ensemble.

— Et même si vous chialez comme trois gamines, je vous aime.

— Nous aussi, Freddie.


— On t'aime.


Les gorges étaient trop nouées pour prononcer un mot de plus. L'étreinte dura longtemps. Personne n'avait envie de lâcher Freddie en sachant que l'ego de ce dernier ne leur accorderait sans doute plus de moment comme celui-ci. Ils voulaient se montrer tacitement tout l'amour qu'ils éprouvaient les uns pour les autres.

 Dès que l'opportunité se présenta, ils firent leurs valises pour Montreux. 

Love Cannot DieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant