28. Reflet

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17 Octobre 1977

Freddie se regardait dans le miroir. Il aimait ce qu'il y voyait. Son reflet était entièrement vêtu de cuir : un pantalon avec une veste ouverte dévoilant son torse velu sur lequel reposait des chaînes d'or. Ses cheveux, qu'il avait coupés quelques mois auparavant, étaient presque entièrement dissimulés sous une casquette.

Son air de badboy lui fit décrocher un regard de défi que lui seul pouvait connaître dissimulé derrière une monture de lunettes aux verres noirs. Il se sentait naître une toute nouvelle virilité. En se contemplant pendant de longues minutes, il oublia la réalité et se rappela comment tout cela était arrivé.

Ses souvenirs l'envoyèrent à New York qu'il avait quitté peu de temps auparavant. Il venait de découvrir la communauté gay et adorait la côtoyer.

Il était parti pour faire une autre virée dans un de ces clubs qu'il fréquentait désormais assidûment. Paul n'était pas de la partie ce soir-là, il avait préféré retrouver de vieux amis plutôt que d'accompagner Freddie, bien que ce soit lui qui l'ait initié à ce genre de soirées.

Le chanteur emprunta un petit escalier sombre qui conduisait à une sorte de cave ; l'entrée ne payait pas de mine, c'est sûr. À l'intérieur, tout était très différent. L'éclairage était fait de néon, la salle était parsemée de petites tables ; certaines avec chaises d'autres avec banquettes, toutes tournées dans la même direction, vers la scène sur laquelle des danseurs se trémoussaient sensuellement autour d'une barre.

Freddie alla s'installer sur une table avec banquette et commanda à boire un certain cocktail exotique comme il y en avait sur la carte. L'endroit était bruyant dans la limite où cela restait agréable et l'ambiance était particulière, mais Freddie aimait ça.

La plupart des gens étaient venus seuls, pourtant, personnes n'était vraiment seul. Ces gens se draguaient. Quelques gars louches asociaux restaient dans leur coin, évidemment, mais cela restait une minorité.

Étrangement, Freddie en faisait partie. Il était tranquillement assis sur la banquette, sirotant sa boisson et profitant du spectacle tout en se demandant si quelqu'un le reconnaîtrait et s'il oserait aborder le jeune homme au fond de la salle qui lui faisait de l'œil. Il se perdait ainsi dans ses pensées en regrettant que Paul l'ai laissé.

Soudain, sa vue se boucha par une silhouette entièrement vêtue de cuir.
Il reconnut instantanément l'homme qui se trouvait devant lui : il s'agissait du motard à l'immense moustache des Village People. La première chose qui frappa Freddie était l'aura que son style dégageait, il avait affaire à un vrai macho qui semblait s'intéresser à lui.

— Salut, dit-il de sa voix grave et rassurante.

— Salut, répondit à son tour Freddie d'une voix bien plus grave qu'elle ne l'aurait du l'être d'après les espérances du chanteur de Queen dans sa vaine tentative ayant pour but de se donner un air plus viril.

Il se sentait ridicule, en train de perdre ses moyens devant cet homme qui était désormais sa nouvelle cible de la soirée.

— Je suis Glenn Hughes.

— Le chanteur des Village People, compléta Freddie en le coupant de court.

— C'est exact. J'aime beaucoup ce que tu fais. Freddie Mercury, n'est-ce pas.

— En effet, merci.

— Et puis-je savoir ce que tu fais seul ce soir ?

— Je m'occupe en attendant que le temps passe, répondit-il dans un soupir en repensant à ses amis qui l'avaient eux aussi laissé tombé pour aller dans un autre club.

— Je vois. Tu ne devrais pas te laisser faire, Freddie. Montre leur ton
incroyable personnalité. Tu sais, la moustache est un symbole gay dans cette ville. Le cuir est bien vu aussi.

Freddie ne voyait pas où Glenn voulait en venir ni pourquoi il lui disait ça. Se faire pousser la moustache ? Il trouvait cette idée étrange mais il y réfléchirait.

— Je ne sais pas.

— Voyons, entre chanteurs, on se comprend. Le public aime les bons chanteurs, mais veut surtout une personnalité, un frontman épique qui sait se renouveler. Si ça ne va plus, c'est sans doute qu'il est temps de se renouveler.

— Merci pour le conseil, Glenn.

— Y'a pas de quoi.

Freddie ne resterai pas seul ce soir, et maintenant que la glace était brisée, il comptait bien en profiter. Il s'approcha du "motard" pour l'embrasser, mais Glenn recula, gêné, s'enfonçant dans la banquette en faisant couiner le cuir qui composait sa tenue.

— Hum. Je ferais mieux d'y aller, dit-il avant de s'éclipser après le long blanc qui suivit ce léger mal entendu.

Freddie le savait, il n'était pas son genre, c'était sans doute ses dents.
Encore ses dents. Toujours ses dents. Le pianiste ne resterait pas sur un échec. Il prit son courage à deux mains et alla s'approcher du jeune homme du fond de la salle pour l'emmener dans sa chambre. Il ne passerait pas la nuit seul.

La voix de Paul résonna, sortant Freddie de ses pensées.

— Freddie ! Viens, j'ai ramené du monde et ils sont impatients de te rencontrer.

Il se regarda encore une fois dans le miroir, les paroles de Glenn Hughes résonnant dans sa tête. Il était temps pour lui de se renouveler. Peut-être n'adopterait-il pas la moustache tout de suite, mais il voulait tester le cuir. Il se créait sa propre identité, n'ayant plus honte de dévoiler au monde qui il était. Roger pouvait aller se faire foutre avec sa peur du regard des autres.

Il trouvait que le cuir lui allait bien, il se trouvait même attirant. La voix de Paul se fit à nouveau entendre. Freddie se regarda pour la dernière fois et une phrase lui vint en tête. Il se dit qu'il en ferait une chanson, l'album manquait cruellement de chansons et le temps passait à toute allure.

Get down, make love ! se dit pour lui-même avant de descendre voir les invités. La soirée promettait d'être chargée.




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