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Mathieu était allongé sur le divan le moins confortable existant dans cette ville. Il pestait contre les trous et les ressors qui s'enfonçaient dans son dos tout en regardant encore une fois l'heure. Il n'était que deux heures du matin, prisonnier dans cette chambre d'hôtel hideuse et étouffante.
Toutefois, il devait rester encore quelques jours pour se planquer. Du moins, c'était l'avis de Franck qui recevait trop de menaces pour gérer un de ses pantins dealers. Il lui avait alors payé une chambre pour disparaître et le blond avait décidé de choisir la vie, plutôt que la prison ou la tombe.

Même si maintenant, alors qu'il suffoquait, il regretta sa décision.

Il retira son t-shirt moite, espérant que l'absence de tissu l'aiderait. Toutefois, maintenant, c'était son pansement qui le tiraillait. Il se redressa pour tirer dessus, laissant à l'air la plaie qui ne semblait pas vouloir se refermer. Il la toucha du bout des doigts, grimaçant face à ce souvenir d'un échec et d'une vie illégale.

Un toquet le fit se relever en sursaut. Il avança lentement vers la porte pour regarder par le judas. Il ne put se retenir de sourire tout en ouvrant.

« Salut. »

« Salut. » Il la laissa entrer. « Apparemment, j'suis infirmière et livreur de nourriture. »

« Merci Lina. »

Elle posa le sac de nourriture sur le lit et il se jeta dessus comme s'il n'avait pas mangé depuis plusieurs jours. Elle resta au milieu de la pièce, regardant les murs tâchés et la moquette douteuse au sol.

« T'as mangé ? » Lina secoua la tête négativement. L'appétit n'était plus là depuis bien longtemps. « Prends un truc, alors, t'as pris pour dix personnes. »

Son regard ne la laissa pas choisir et elle prit un sachet de frites pour les grignoter tout en regardant par la fenêtre qui donnait sur le mur d'un autre bâtiment. « T'as encore retiré ton pansement. »

« Ouais. » Il se frotta le torse en réponse au moment où elle se retournait. « J'le supporte pas. »

« C'est le pansement que tu supportes pas ou le pourquoi tu l'as ? »

« Joue pas la psy avec moi. » Elle leva les yeux au ciel. Il rangea la nourriture, l'appétit coupé par les vérités. « Pas besoin de le refaire, ça guérira tout seul. »

« Ok. » Lina haussa les épaules. « Comme tu veux. » Elle reprit ses affaires, prête à partir.

« C'est pas pour ça que tu dois partir. »

Il resta sur le bord du lit, les coudes contre ses genoux et une cigarette entre ses lèvres. Lina aurait aimé trouvé les mots, avoir ce charisme ou cette prestance que toutes les filles qu'elle admirait avaient. A la place, elle prit place à ses côtés.
Elle était si maladroite qu'il eut envie de sourire. Toutefois le poids sur ses épaules étaient si lourd qu'il reprit son sérieux tout aussi vite.

« Ton petit frère va bien. Je l'ai vu ce matin. Il m'a demandée de tes nouvelles. » Elle espérait le rassurer mais ses mots eurent l'effet inverse. Les yeux de Mathieu devinrent sombres et humides. « C'est qu'une question de jours et tu pourras rentrer. »

« Jusqu'à la prochaine. J'ai besoin d'argent. » Il s'allongea sur le dos, se recouvrant les yeux de son bras. « Tu peux pas comprendre. »

« J'pense pouvoir. » Elle s'allongea à ses côtés, se mettant de profil pour lui faire face. « Mais dis-moi quand même. J'peux être de bonne écoute. »

Il tourna la tête quelques secondes pour la regarder avant de se cacher encore une fois. « J'suis qu'un merdeux raté qui ne sait rien faire d'autre que d'apporter des problèmes. »

« Sérieusement ? Mathieu... » Elle le força à retirer son bras pour qu'il affronte son regard abasourdi. « Dis pas des trucs aussi stupides. »

« T'es beaucoup trop bien pour traîner avec Franck. »

Elle ria jaune un instant avant de contempler le plafond. Il resta là, à la regarder, essayant de comprendre comme elle avait pu tomber dans les travers de la drogue. Il la vit fermer les yeux tandis que son menton tremblait par un sanglot. Il ne tenta pas de gestes vers elle ni de mots, restant à ses côtés pour qu'elle reprenne constance. Finalement, elle souffla et ce fut comme si toute émotion avait disparu.

« J'étais étudiante infirmière mais la vie sur Paris, c'est super cher, tu sais. » Elle secoua la tête pendant qu'il buvait ses paroles. « Et Franck, il m'a proposée de soigner ses...amis pour de l'argent. Mais ensuite, il m'a appelée de plus en plus souvent, à des heures impossibles. Il me mettait la pression. J'avais plus le choix. J'ai arrêté mes études. » Elle haussa les épaules. « Mais, maintenant, c'est... »

« C'est vraiment dommage. » Ils se redressèrent. « Mais je comprends mieux. J'ai pas le choix non plus. C'est le seul job qui rapporte assez pour ma famille. »

« Tu devrais faire plus de musiques. T'es doué. »

« Ah bon ? »

« Oui, tu devrais foncer. Tu peux aller loin. »

« J'prends notes. »

Ils restèrent silencieux quelques minutes, contemplant la vie de l'un et l'autre. Le téléphone de Lina se mit à sonner. Le nom de Franck s'affichait sur son écran. Elle souffla avant de le jeter contre le matelas. Elle rêvait de s'enfuir ou de rester ici, près de Mathieu dans cet hideux hôtel qui sentait le tabac froid et l'humidité. Elle voulait être partout sauf dans l'appartement du gérant, là où la violence et la peur régnaient.

« Tu devrais y aller avant qu'il ne s'énerve. » Elle se leva, marchant tel un automate jusqu'à la porte. « Merci d'être venue Lina. » Il lui ouvrit la porte et alors qu'elle partait dans le couloir, il l'interpella. « Lina ! Il faudra que tu reviennes demain soir, je crois que j'aurai besoin de soin. »

« Ah oui ? »

Il posa sa main sur sa plaie, un sourire taquin sur les lèvres. « Ouais, t'as oublié de faire mon pansement. » Il la salua. « A demain Lina ! »

« A demain Mathieu ! »

Elle attendit qu'il ferme la porte pour se précipiter dans les couloirs puis les escaliers. Elle prit la route à toute vitesse, son palpitant battant si fort dans sa poitrine qu'elle avait la nausée. Elle arriva en trombe dans l'appartement de Franck qui était encore assis autour de la table, un masque et des lunettes pour se protéger. Elle s'arrêta net devant ce spectacle, incapable de s'habituer à voir autant de drogues.

« T'es en retard. »

« J'suis désolée, j'me suis perdue. »

Il se leva subitement pour s'approcher d'elle, sa carrure imposante impressionna Lina qui se recula contre le mur. « C'est la dernière fois Lina ! La dernière ! » Il s'approcha encore une fois.

« Mec, c'est bon elle a compris, j'crois. »

« Non, j'crois pas ! » Il s'écriait sur elle pendant qu'elle fermait les yeux si fort qu'elle voyait des étoiles. « J't'ai pris sous mon aile ! C'est grâce à moi que t'en es là aujourd'hui alors fais ce que je te dis putain ! » Elle se laissa tomber contre le sol, espérant pouvoir disparaître. « C'est la dernière fois ! C'est la merde dehors et t'es une cible facile, j'veux pas avoir à te gérer !»

Rusted Souls [PLK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant