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Mathieu claqua si fort la porte que Lina fit tomber son verre d'eau de peur. Elle s'excusa un million de fois avant d'essayer de le ramasser. La grand-mère sortit de la cuisine en trombe pour confronter son petit fils. Elle était en colère et il se calma instantanément, redevenant un enfant se faisant disputer par l'aînée.

Elle le pointa du doigt pour affirmer sa fureur. « Je t'interdis de t'énerver contre elle ! Tu m'entends ? Elle n'avait pas d'argent ! Comment voulais-tu qu'elle rentre toute seule ? Tu peux pas lui en vouloir alors tu n'as pas intérêt à lui reprocher ! »

« Les flics auraient pu venir ici ! »

« C'est pas une raison ! » Son index se posa sur le torse du blond. « Tu sais que je déteste quand tu perds ton calme. On dirait ton père et il est hors de question que tu deviennes comme lui. Je t'ai pas élevé comme ça Mathieu. »

« Mamie... » Il avait baissé sa garde.

« Tu es un bon garçon. » Son doigt accusateur devint une main protectrice sur son cœur. « Reste le. Tu as vécu suffisamment d'horreur pour comprendre que tout n'est pas noir ou blanc. »

Il acquiesça seulement avant qu'elle ne se décide à lui libérer le passage. Il entra dans la cuisine et ne perdit pas de temps pour s'approcher de Lina qui passait sa main sous l'eau. Elle s'était coupée en essayant de rattraper son verre. Elle refusa son aide, les larmes aux yeux et la peur au ventre.

« Laisse-moi, j'ai pas besoin de ton aide. »

« Lina. » Face à son effroi, il s'éloigna tout en se frottant le visage. Il voulait se réveiller de ce cauchemar, ouvrir les yeux en Guadeloupe dans les draps blancs, la tête de sa petite amie dans son cou. « J'étais mort d'inquiétude. »

« J'crois pas que ça soit une raison valable pour me crier dessus. » Elle emballa sa main dans un torchon propre avant de s'appuyer contre l'évier. « J'ai eu peur pour toi, tu sais ? J'étais paniquée, effrayée à l'idée qu'il t'arrive quelque chose, Mat. J'avais pas d'argent, j'savais pas quoi faire. J'suis pas de ce milieu là. »

« Ils ont de nouvelles informations sur toi. »

« Je n'ai rien à perdre. » Mathieu leva les yeux au ciel. « J'irai les voir demain matin et je leur dirai la vérité. Ils te laisseront tranquille. »

« Hors de question. » Il croisa ses bras pour essayer de contenir sa colère à l'intérieur. « Ils pensent que tu travaillais au même niveau que Franck, tu risques la même chose. Ils ont des témoins. »

« Tu peux pas m'empêcher d'y aller. »

Cette fois, il se retourna pour lui faire dos, incapable de la regarder et de garder son calme. « Si tu fais ça, Lina, c'est terminé. » Il ferma les yeux tout en serrant la mâchoire. « Toi et moi, si tu vas voir les flics, ça sera terminé. »

« Arrête, tu penses pas ce que tu dis. » Elle secoua la tête. « Il y a encore quelques heures, tu me disais que tu m'aimais. » Sa voix se cassa dans un sanglot tremblant. « Mathieu... »

« Tu sais quoi ? » Il s'était retourné pour la regarder. Il la trouva minuscule, là, presque trop fragile. Et il allait donner le coup de grâce. Il se rappela la promesse qu'il avait fait à sa grand-mère. Il se devait de la protéger. Et pour ça, il fallait qu'elle se fasse oublier de ce quartier. « J'ai plusieurs concerts en mars et avril. »

« Qu'est-ce que tu fais ? » Elle se recula pour ne pas endurer l'impact.

« J'vais être concentrer là-dessus, j'serai loin. Ca te permettra de réfléchir à ce que tu veux vraiment. »

Lina resserra si fort le torchon sur sa main qu'il se tâcha complètement d'une teinte rouge. Malgré ses larmes, elle s'approcha de lui pour embrasser sa joue. Il resta stoïque, au mieux, tandis qu'elle lui chuchotait qu'elle l'aimait. Elle attrapa sa valise puis son manteau. Mathieu ne fit aucun mouvement pour la rejoindre, ses jambes flageolantes l'empêchant de se décoller de la cuisine.

« Lina ? » La grand-mère de Mathieu posa sa main sur son épaule tremblotante. « Où est-ce que tu vas ? » Elle attrapa un papier et un crayon pour y écrire une adresse. « Il existe un foyer pour jeunes. C'est un bon endroit, j'y suis bénévole. Vas y, d'accord ? » Elle acquiesça. « Tu y seras au chaud. »

« Encore merci. »

« Allez, vas-y. » Elle embrassa sa joue tendrement. « On se voit bientôt, d'accord ? Peu importe ce qu'il arrivera, tu pourras toujours compter sur moi. Tu es forte, tu peux tout surmonter. »

Elle hocha seulement la tête avant de prendre la porte, éclatant dans un hideux sanglot pendant qu'elle essayait de porter cette valise de malheur dans les escaliers. Toute sa vie ne tenait plus que là-dedans et elle aurait aimé la jeter du dernier étage pour la suivre juste après.

Mathieu s'alluma une cigarette pour calmer ses nerfs. Toutefois, seules les larmes longeant ses joues pouvaient l'apaiser. Il avait envie de s'effondrer ou de s'arracher le cœur. Il étouffa un sanglot dans sa poitrine. Tout avait été si parfait, il était tombé amoureux, parti en vacances, réussi sa carrière. Pourtant, tout ça ne comptait plus.

Elle n'était plus là.

La main de sa grand-mère se posa sur sa joue. Elle n'avait jamais été très tactile depuis qu'il avait grandi et il eut l'impression de se retrouver, gamin, accueillie par la seule personne qui semblait vouloir croire en lui.

« Mon chéri... » Sa voix était douce et enveloppante.

« Dis-moi que j'ai fait le bon choix. »

« Je suis peut-être plus âgée... mais je ne détiens pas la vérité. » Il ferma les yeux, laissant échapper une larme qui s'échoua sur le pouce de sa mamie. « Mais tout arrive pour une raison. »

Il mourrait d'envie de lui dire qu'il n'y connaissait rien à l'amour, qu'il n'avait toujours vu que conflits et abandons. Il voulait lui avouer qu'il s'était peut-être trompé parce qu'il sentait que son cœur saignait si fort à l'intérieur que sa tête tournait. Alors que, quand Lina était proche de lui, il avait l'impression de pouvoir combattre les pires démons. Mais là, à l'instant, ils les envahissaient, brûlant ses muscles et ses paupières.

Néanmoins, il resta silencieux, se pinçant les lèvres pour retenir sa peine.

« Tu devrais aller dormir Mathieu. » Elle abandonna le contact et il se sentit tomber dans une abîme. « Demain est un autre jour. Tu auras sûrement les idées plus claires. »

« Ouais, peut-être. »

Il secoua la tête, loin d'être convaincue. Il ne prit pas la peine de passer par la salle de bain mais retira ses vêtements pour s'allonger dans son lit. Le sommeil l'effrayant, il attrapa son téléphone pour passer le temps. Inconsciemment, il se dirigea vers ses photos personnelles pour y regarder les plus récentes. Il fut étonné de ne voir que peu de paysages. Son album était plutôt envahi d'une brune souriante, endormie ou encore pensive.

« Putain mais qu'est-ce que j'ai foutu ? »

Rusted Souls [PLK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant