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Lina avait claqué sa fourchette contre la table, le teint rouge mais non plus d'amour, seulement d'une frustration sombre. Mathieu pensa un instant, tout en la regardant, qu'il ne l'avait jamais vu ainsi, prête à planter son couvert dans le cœur de quelqu'un.

« Caroline, va t'en, tu veux. »

La femme plutôt âgée attrapa un shooter pour le boire, tendant un à Lina qui secoua la tête. « Oh allez, ma chérie, c'est bon quoi. » L'inconnue attrapa alors les deux qui restaient pour les terminer, sans même grimacer un tant soit peu. « Ça fait longtemps qu'on s'est pas vues. »

« C'est pour une raison. » Lina repoussa son assiette si bien qu'elle prit son geste pour une invitation à terminer son repas. Mathieu resta stoïque incapable de comprendre la situation malgré qu'il examinait les deux à ses côtés. « Qu'est-ce que tu veux ? »

« Rien, j'pensais pas croiser ma fille un jour. » Le blond s'étouffa dans son verre d'eau. « D'ailleurs, c'est qui ce jeune homme ? » Caroline termina la coupe de champagne de Lina.

« Mon petit ami, Mathieu. » Sa mère approuva d'un regard.

« T'as enfin un mec ? » Elle pointa de sa fourchette la brune qui évitait au mieux le regard exorbité du polonais. « Toi qu'étais prude à la maison. » Lina ne prit pas la peine de répondre, l'énervement tapant suffisamment dans ses tempes sans en rajouter. Sa mère se leva, s'essuyant la bouche avec une serviette. « J'vais aux toilettes, j'reviens. »

Lina eut envie lui refuser mais un nœud dans la gorge l'empêcha d'articuler. Si Caroline partait dans les wc, ce n'était pas pour des besoins naturels. Non, elle partait juste s'isoler par manque de substances. La jeune femme regarda sa mère déambuler, manquant de chuter sur des tables.

« Tu m'expliques ? » Mathieu attrapa la main de sa voisine pour l'interpeller. Elle secoua la tête tout en se pinçant les lèvres, incapable de parler sans éclater en sanglot. « Tu veux partir avant qu'elle ne revienne ? » Elle n'eut le temps d'accepter que la protagoniste était déjà de retour, les yeux éclatés et la démarche titubante. Elle manqua de renverser les verres de leur table, si bien que Lina se leva pour lui tenir le bras.

« Maman, s'il te plaît, t'es en train de te mettre en spectacle. »

« Lina, va à la voiture, j'vais payer. On va la ramener. »

Il embrassa sa tempe longuement avant de s'éloigner. La brune attrapa par le coude Caroline pour l'emmener à l'extérieur, la déposant à l'arrière de la voiture tout en la prévenant de ne pas vomir sur les sièges de Mathieu. Lina attendit son petit ami contre sa portière, les bras serrés contre elle tout en tapant du bout du pied les graviers. Lorsqu'il arriva, elle se redressa, prête à se revoir une soufflante, ou pire. Pourtant, il s'arrêta seulement devant elle, relevant son menton du bout des doigts.

« Quand j'disais qu'on allait être reconnu, j'pensais moi, pas toi. » Il s'humecta les lèvres tout en regardant les siennes mordues d'anxiété. Elle secoua la tête, incapable de percevoir sa pointe d'humour. « On la raccompagne chez elle ? Et après, on rentre ? »

Elle acquiesça avant d'embrasser sa joue et de rentrer dans la voiture. Lorsqu'il démarra, elle s'accrocha à sa main droite pour y trouver un peu de réassurance. Elle le guida jusqu'à son ancien appartement où sa mère vivait encore. Mathieu ne put se retenir de juger le bâtiment qui paraissait encore plus insalubre que dans celui qu'il habitait lui même.

« C'est sympa, hein. » Lina ria jaune tout en tirant sur Caroline qui s'endormait déjà. « Tu vas voir, ma chambre est encore plus sympathique. » Elle attrapa son bras pour le mettre sur ses épaules et Mathieu se mit de l'autre côté. « Enfin, si elle l'a pas utilisé pour autre chose. » Elle attrapa la clé et ne fut pas étonner de voir l'appartement tout aussi vide qu'il y a quelques années. Elle laissa sa mère s'effondrer sur le sofa avant de déambuler jusqu'à son ancienne chambre. Tout avait changé, il ne restait plus aucune trace de son enfance. « Eh bah, tu ne verras rien. »

« Peu importe. » Il était appuyé contre l'embrasure de la porte, observant les alentours tout en s'imaginant une mini Lina. « Tu m'as jamais parlé de ça. »

« De quoi ? » Elle fronçait les sourcils. « De mon absence d'enfance ? Mat, c'est pas nécessaire, y a rien d'exceptionnel. »

« Donc quand je parle de ma propre famille, tu t'es jamais dit que ça serait sympa de parler de la tienne ? Surtout quand on voit qu'elles sont toutes les deux particulières. » Elle haussa les épaules nonchalamment tout en ouvrant un placard à la recherche de trésors. « J't'avoue, je l'ai mauvaise, là. »

Il souffla avant de sortir, murmurant qu'il l'attendait en bas, à la voiture. Lina resta une vingtaine de minutes toute seule, scrutant la pièce comme si elle n'avait pas bougé, son lit qui trônait sous la fenêtre, son tapis en jonc qui lui piquait les cuisses quand elle travaillait sur ses devoirs, faute d'avoir un bureau. Son enfance s'était passée ici, entre ses quatre murs, évitant les conquêtes de sa mère et les vapeurs d'alcool. Finalement, elle quitta l'appartement sans même se retourner ou même un signe d'émotions sur le visage. Mathieu l'attendait dehors, une cigarette entre les lèvres tandis qu'il faisait les cent pas, essayant de calmer son énervement au mieux avant qu'elle n'arrive. Elle le rejoignit directement pour se réfugier dans ses bras et il jeta sa clope pour répondre, malgré son agacement.

« J'suis désolée. »

« C'est bon, j'sais que tu l'es pas. » Elle s'éloigna pour le regarder, les lèvres pincées. « Tu m'expliques ou j'peux aller me faire foutre ? »

« Il n'y a rien dire. On se parle plus depuis des années et je m'en porte bien. J'suis partie dès que j'ai pu et j'ai tout fait pour ne pas lui ressembler. C'est pour ça que j'veux être diplômée. Je n'avais jamais bu ni rien consommé d'illicite avant Franck. J'voulais aussi préserver ma première fois pour un mec que j'aimerais... » Elle se mordilla les lèvres, joues rougies et les doigts caressant la mâchoire de Mathieu.

« Ça reste ta mère, Lina. » Il retira ses mains. « Là, j'te comprends pas. »

« J'ai pas la même vision que toi de la famille. »

« Non, c'est sûr. » Il secoua la tête tout en ouvrant la portière de Lina. « Mais j'pensais qu'on avait au moins la même vision d'une relation.»

« Mathieu... » Elle le suppliait, attrapant son bras pour l'interpeller. « Elle et moi, ça toujours été compliqué. Si je devais décrire ma famille, ça serait toi, mamie, Enzo... »

« Sauf qu'il y a une part dont on ne choisit pas. C'est trop facile, sinon. Il suffit de partir quand ça devient compliqué. »

Elle baissa les yeux, piquée au vif. « T'as raison, désolée. » Elle fut presque soulagée de sentir son téléphone vibrer dans sa poche. « C'est ta grand-mère. » Elle répondit d'une voix enjouée malgré son envie certaine de s'écrouler au sol pour pleurer. « Allo ? » Elle acquiesça tout en tendant le téléphone à Mathieu. « Elle a essayé de t'appeler. »

« Ouais, j'prends pas mon portable en pleine conversation. »

Lina resta bouche bée avant de rentrer dans la voiture et claquer la portière. Mathieu entra à son tour tout en discutant avec son aînée et elle tendit l'oreille tout en le regardant. Lui, devint blême, presque fantomatique. Il serra d'une main le volant en face de lui pour se retenir de frapper quelque chose. Elle, ne bougea pas d'un poil, effrayé par la tournure de la situation. Tout ce qu'elle entendit fut les derniers mots de la grand-mère.

« Mathieu, je suis désolée...ils ont essayé de le réanimer...sans succès. »

Rusted Souls [PLK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant