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Lina regardait depuis des heures l'horizon. Sa valise n'était toujours pas ouverte parce qu'elle s'était précipitée sur la terrasse pour regarder la mer. Mathieu lui avait laissé un temps seule pour qu'elle puisse rassembler chaque partie d'elle-même et faire face à la réalité. Ils étaient maintenant en Guadeloupe, pour disparaître de Paris, loin de Marcus.
Lorsque la nuit se mit à tomber, il s'approcha d'elle. Il lui déposa une de ses vestes sur les épaules avant de s'asseoir à ses côtés.

« Ça fait des heures que t'es là. »

« J'avais presque oublié à quel point c'était magnifique. » Il avait tout fait pour avoir le même bungalow que la première fois. « Tout paraît si simple et minuscule quand on est là. »

« Plus rien à d'importance. » Elle acquiesça seulement. « Comment tu te sens ? » Elle ne quittait pas l'horizon tandis qu'il la scrutait tendrement.

« Bien. » Ses yeux se firent plus pesants si bien qu'elle n'eut besoin de le voir pour le savoir. « J'me sens épuisée... et... en dehors de mon corps. » Il resta silencieux, incapable de trouver des mots rassurants. « Et j'sais pas comment faire pour vivre. » Elle haussa les épaules tout en se recroquevillant sur elle-même. « J'ai l'impression que même mes pensées ne m'appartiennent plus. Elles sont juste guidées par ce que j'ai vécu et c'est loin d'être chouette à subir. »

« T'y arriveras. » Elle acquiesça sans trop y croire. « Ses vacances pourraient te permettre de te recentrer sur toi-même. »

« La seule chose qui me permettrait d'aller mieux, c'est la mort de Marcus. »

« Lina... » Son ton était suppliant presque désapprobateur.

« J'le pensais pas. » Elle se leva, époussetant son short avant de rentrer, suivi de près par Mathieu. « Mais si je n'avais pas réparé sa plaie, il serait peut-être mort. Il ne serait pas venu dans l'hôtel pour me menacer. Je n'aurai pas choisi une vie misérable auprès de Marcus plutôt qu'une balle dans la tête... »

«...Si tu ne l'avais pas soigné, tu aurais eu une balle dans la tête bien avant, Lina. »

« Ça aurait peut-être été la solution. »

Il souffla, ne supportant pas d'entendre son sarcasme une minute de plus. Toutefois, il resta silencieux, se rappelant leurs disputes et ruptures. Il ne voulait plus aller sur ce chemin, pas après tout ça.
Il fut sauver par la sonnette, l'agent apportait un chariot. Il proposa une bouteille de champagne mais Mathieu refusa. Lorsqu'il s'en alla, Lina ne put retenir son rire jaune.

« T'as peur que je me saoule ? »

« Ça suffit Lin'. » Il la disputa comme si c'était qu'une gamine et elle crut voir rouge.

« J'vais me doucher. »

« J'ai commandé à manger. »

Elle l'ignora tandis qu'il soulevait les cloches des assiettes. Il n'eut le temps de l'interpeller une nouvelle fois que la porte se claquait devant lui. Lina alluma l'eau avant de se laisser tomber contre le carrelage de la salle de bain. L'anxiété et le désarroi étaient tels qu'elle n'arrivait à calmer ses barrières de défense. Elle resta immobile tout en regardant l'eau couler, se sentant soudainement incapable de bouger ou de prendre le risque de se mettre sous le pommeau de douche. Les souvenirs se mirent à valser sous ses paupières pendant qu'elle se balançait d'avant en arrière tout en retenant au mieux ses sanglots de passer de l'autre côté de la porte.

Toutefois, Mathieu l'avait bien entendu. Il s'était assis contre le mur, fermant les mains et les yeux tout en priant qu'une force supérieure permettrait à la brune de la relever. Il voulait entrer, défoncer les obstacles qui l'empêchaient de retrouver son premier amour. Mais, il resta immobile, la mâchoire fermée pour retenir ses propres pleurs de rejoindre ceux de Lina.

Finalement, au bout d'une heure, il l'entendit éteindre l'eau. Il n'eut le temps de se redresser qu'elle ouvrait la porte, le cherchant du regard avant de tomber sur lui, au sol, les yeux rouges. Elle prit place à ses côtés et il déplia ses jambes et tenta de desserrer ses poings. Elle avait le visage bouffi et irrité d'avoir pleuré. Il aurait aimé y passer son pouce pour apaiser les rougeurs. Néanmoins, il savait que son contact ne serait qu'un précurseur d'une autre crise de larmes.

« Le premier jour des vacances est toujours un peu dramatique. » Il essaya de rire mais son souffle ne sortit que dans un hideux larmoiement. Il renifla contre sa manche et elle se réfugia sur elle-même, son menton contre ses genoux. « C'est pas pareil cette fois, j'espère que tu t'en rends compte. »

« Je sais. »

« Et j'comprendrai si tu veux partir. » Elle haussa les épaules tout en fixant le lit encore fait. « J't'en voudrai pas. T'auras juste à me le dire. »

« Je sais. »

« Même si Franck était complètement dingue, il n'aurait jamais... il n'aurait jamais fait tout ce que Marcus a fait. » Elle ferma les yeux un instant pendant que Mathieu la regardait. « J'veux dire... Franck avait du bon en lui, j'le sais, tu vois ? » Il acquiesça, même si lui n'avait pas les mêmes croyances. Après tout, il l'avait conduit tout droit dans la gueule du loup tandis que lui-même la gardait par la peur et l'abus. « Mais Marcus...lui... » Elle posa sa tempe contre ses genoux pour pouvoir rencontrer le regard protecteur et bienveillant du blond. Elle voulait s'y perdre encore. « Marcus est un psychopathe. »

« J'aimerais le tuer de mes propres mains. » Ils continuaient de se contempler. « Si j'savais que tu continuerais à m'aimer malgré tout, j'le ferai. »

« Je t'aime parce que t'es différent. Deviens pas comme tous ses hommes que j'ai vu. » Du bout des doigts, elle toucha le dos de la main de Mathieu. « Tes mains sont beaucoup trop doué d'amour pour les salir. » Elle rompit le contact et il se sentit soudainement seul, retouchant à son tour là où elle l'avait caressé. « On peut pas toujours tout fixer. »

« Je cherche pas à te réparer ou à réparer la situation. » Il tendit sa main ouverte vers elle. « Mais j'compte pas non plus abandonner. J't'attendrais derrière la porte tant que tu veux de moi. » Elle posa la sienne sur elle et il ne fit aucun mouvement pour la serrer, la laissant libre de se retirer. Mais, elle resta, dessinant ses lignes de vie inlassablement.

« Quand j'étais là-bas... » Elle s'humidifia les lèvres, hésitant à lui partager. « J'pouvais pas me doucher sans qu'il ne soit là. Parfois, il me gardait la tête sous le jet et j'avais l'impression de mourir. La dernière fois que j'y ai pris une douche, il a mis l'eau si brûlante que j'en garde une marque dans mon dos. » Il essaya de rester immobile et impassible mais le soubresaut de sa cage thoracique ne put que le trahir. « J'ai pas réussi à prendre une douche depuis. »

Il resta quelques secondes silencieux, essayant au mieux de faire taire la voix qui lui ordonnait de résoudre le problème ou au moins de la venger. « Je n'arrive même pas à imaginer ce que tu ressens juste devant une douche. »

« Tu te rappelles quand on était chez Franck et que t'as reçu un message d'Enzo qui te racontait que ça n'allait pas à la maison ? » Il acquiesça tout en fronçant les sourcils. « Tu te rappelles le désarroi, la peur et l'impression de revivre à travers lui tous tes problèmes d'enfance ? Et bien voilà. »

« Sauf que... » La main de Mathieu tremblait sous celle de la brune. Elle continuait ses tendresses. «... Sauf que toi, c'est pire. Beaucoup de trucs te rappellent tout ça. »

« Ouais. » Elle souffla tout en essayant de lui sourire pour dédramatiser. « C'est le problème. J'viens de pleurer devant une douche luxueuse. »

« Tu me trouveras juste à côté de toi... » Il se lui fit un demi-sourire en se pinçant les lèvres. «... ou derrière la porte à t'attendre. Tu pourras pleurer devant toutes les douches du monde, je serai à tes côtés. »

Rusted Souls [PLK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant