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Mathieu n'avait que peu de regrets. Il regrettait d'avoir trop fait pleurer sa grand-mère et de ne pas lui donner assez d'amour. Il regrettait de ne pas s'imposer devant son père et de respecter trop fortement les valeurs qu'il lui avait donné.

Toutefois, ce soir-là, il regretta tout.

Il attrapa le whisky pour se servir un gobelet à raz bord, manquant de renverser l'alcool sur le clavier de son ordinateur. Néanmoins, il s'en foutait parce que la musique n'avait plus aucun intérêt. Il ne voulait plus de mélodie et de vers, seul son verre lui suffisait. Antoine attrapa la bouteille tout en secouant la tête. Il prit place derrière lui, complètement désabusé et en colère de voir son protégé en piteux état.

« Il faut que je joue le manager ou le grand frère ? »

« Aucun des deux. » Il avala le liquide sans grimacer, se retournant pour chercher de quoi remplir son verre une nouvelle fois. Son ami dut retenir le fauteuil de se renverser. « Peu importe ce que tu diras, j'm'en bats les couilles. »

« Sauf que t'as signé un contrat... »

Il n'eut le temps de finir sa phrase que le blond riait. «... Tu veux combien ? On termine le contrat maintenant. Tout ça, c'est qu'une question d'argent. »

« Non, t'es mon frère, arrête.J'veux pas de ton argent, j'veux que tu te bouges, que t'arrêtes tes conneries. Et si tu veux pas le faire pour toi, fais le pour les gens qui t'aiment, ta grand-mère, Enzo, Lina... tous tes frères. Reprends-toi. »

Mathieu n'eut la chance d'argumenter qu'une petite brune entrait timidement. Il ne put que la scruter, ébahi de la voir, tandis qu'elle saluait Antoine, le remerciant de son appel alors qu'il s'éclipsait déjà pour laisser les deux protagonistes. Lina s'appuya contre le bureau et sortit de son sac un burger et une canette de soda qu'elle lui tendit. Il ne la remercia pas, préférant attraper la bouteille que son manager avait abandonnée.

« Mat... » Malgré son désespoir, Lina restait calme et douce. « Arrête, je t'en supplie, bébé, laisse ça. »

« Qu'est-ce que ça peut te foutre, hein ? » Il secoua la tête tout en se penchant vers l'avant, prêt à plonger tête la première.

« Tu es mon petit ami depuis des années. » Elle se mit accroupi devant lui, essayant de capter son regard mais il fermait les yeux, préférant se morfondre sous la pénombre de ses paupières. « Je suis amoureuse de toi depuis le premier jour alors je ne m'en fous pas. »

« Amoureuse ? » Il ricana tout en serrant les poings jusqu'à blanchir ses phalanges. « C'est pour ça que tu passes ton temps... tes putains d'années ensemble... à mentir ? T'as de la chance que je sois dingue de toi au vu des conneries que tu peux sortir à la minute. »

« Tu veux même pas qu'on en discute alors que j'ai une explication. »

« Putain mais Lina, j'm'en contrefous ! »

Il se redressa brusquement, laissant Lina retomber sur les fesses dans un cri de surprise. Mathieu serra la mâchoire tout en regardant dans le vide, la culpabilité venant ronger le peu d'humanité qui lui restait. La brune se redressa rapidement, espérant qu'en se relevant, il oublierait sa maladresse. Elle essaya d'attraper sa main mais il rejeta son contact.

« Bébé... »

« C'est bon, Lina, je crois qu'on a suffisamment parlé. »

« J'suis juste tombée, tu m'as même pas touché ! » Elle s'écriait, prise d'une émotion tourmenteuse. Elle avait l'impression de se retrouver dans la cuisine de mamie lorsque Mathieu avait décidé pour eux deux, de tout arrêter pour une décision incomprise. « T'essaye de trouver une excuse pour tout arrêter ! »

« C'est toi qu'essaye de trouver des excuses. Nous deux, ça marche pas. Et si tu t'en rends pas compte, c'est vraiment que t'as un problème. » Elle resta bouche bée, surprise de ses mots. « Moi, j'abandonne. » Lina n'essaya pas de le retenir, le laissant déblatérer. « On a trop de passif ensemble ou même chacun de notre côté. »

« Qu'est-ce que tu veux ? »

« Tu le sais très bien. » Il sortit une cigarette de son paquet pour occuper ses mains tremblantes. « On a pas le choix. »

« Dis-le. » Elle attrapa son sac, le serrant de toutes ses forces. « Si tu veux me quitter, lâchement, dis-le. »

Il secoua la tête puis serra la mâchoire suffisamment fort pour que la douleur de la contraction efface toute aigreur. De son regard vide, il l'observa, appréciant une dernière fois celle qu'il aimait. « J'veux qu'on arrête. C'est terminé, Lina, pour de bon cette fois. Pas de mensonges, de retour en arrière. »

« Ok. » Elle acquiesça, se prenant la balle en plein cœur. « Finalement, t'auras pas eu à me tromper pour me briser le cœur. »

Lina ne se retourna pas et partit à toute vitesse, se faisant toutefois retenir par Antoine qui ne put que voir ses joues remplies de larmes et son menton tremblant. Il la serra dans ses bras ,comme un grand frère qui serrait sa petite sœur, d'une embrassade protectrice. Elle se laissa aller à quelques sanglots avant de s'éloigner, refusant tout échange verbal.

Antoine se précipita vers Mathieu, hésitant entre l'insulter et l'enlacer jusqu'à ce qu'il perdre son souffle. Alors, il resta immobile, regardant son protégé, pleurant lamentablement contre la manche de son pull, essayant de retenir ses larmoiements.

« Qu'est-ce que t'as foutu putain ? » Mathieu essuya son visage d'un geste tout en retenant au mieux les sursauts de sa cage thoracique.

« J'en sais rien. »

« Tu vas prendre des affaires, tu viens à la maison. J'en ai ras le cul. Tu vas bosser à fond et rien d'autre, jusqu'aux zéniths. T'as besoin de cadre et crois-moi que là, tu vas en avoir. »

Il acquiesça seulement. « J'vais écrire un peu et je te rejoins chez toi, ça te va ? »

« Ok, fais pas le con. » Antoine embrassa le front du rappeur. « Je t'aime Polak. Ça ira mieux. J'te le promets. »

Il partit, laissant le polonais s'effondrer dans ses émotions et crier contre le monde entier. Il termina la bouteille d'alcool, espérant s'endormir sur le sofa du studio. Toutefois, comme si le destin ne l'avait pas suffisamment fait souffrir ce soir, l'ivresse supplémentaire le rendit anxieux et agité. Il commença à faire les cents pas, trébuchant sur les mêmes obstacles sans arrêt, jusqu'à ce qu'il attrape ses clés pour partir, espérant qu'un ailleurs lui permettrait de calmer son palpitant. Il monta dans sa voiture avec difficulté puis démarra à tout allure. Il fila dans les rues sans direction particulière, souhaitant seulement avoir un peu de liberté.

Du moins, jusqu'à ce que sa vue le trompe.

Suffisamment pour qu'il loupe un feu rouge.

Rusted Souls [PLK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant