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Mathieu recompta ses billets avant de frapper trois coups contre la porte de l'appartement. Ses yeux observèrent d'un air absent et fatigué le bois défoncé par la police . La semaine avait été longue et les soucis s'étaient accumulés sous forme de cernes creuses et violacées. Il imita un sourire en rentrant et déposa sa liasse sur la table comme si se débarrasser de cet argent sale laverait ses mains de toute culpabilité. L'homme devant lui ne perdit pas de temps pour vérifier le montant. Mathieu ne put se retenir de penser qu'il avait tout des clichés d'un gérant du quartier mais que lui aussi avait tout d'un mec de quartier qui tombait dans les travers.

« Lina ! » Franck hoqueta, sa cendre tombant sur son jogging pour y laisser quelques brûlures. « Ramène-toi. » Une jeune femme arriva dans la pièce, emmanchée dans une maladresse alcoolisée. « Va chercher l'enveloppe. »

Elle acquiesça seulement avant de faire demi-tour, suivant ses ordres tel un automate.

Elle tendit la pochette au blond qui l'attrapa maladroitement, perdu sur ses poignets bleutés. Il n'avait jamais été sensible à la violence. Pourtant, devant ce corps frêle et abîmé, il sentit une flamme nouvelle brûler son corps. Il les suivit du regard alors qu'elle s'éloignait pour se camoufler derrière le gérant. Ses sourcils se froncèrent pendant qu'il plongeait son regard dans le sien, espérant y lire une raison à sa présence dans cet environnement hostile. Malgré son air défoncé, elle émanait une innocence et une fragilité.

« Elle te plaît bien ? »

Malgré lui, il la quitta pour se concentrer sur Franck. « Quoi ? Nan ! » Il secoua la tête pour affirmer ses propos, sentant l'atmosphère tourner en sa défaveur. « J'dois y aller, j'peux avoir mon fric ? » Le gérant poussa une liasse entourée d'un élastique. « Merci. »

« A la semaine prochaine? »

« Ouais. »

Elle se pencha en avant pour murmurer quelques mots mais il la chassa d'un geste ferme. Elle vacilla de stupeur puis s'éloigna à grandes enjambées, des larmes débordant des yeux. Mathieu préféra partir face à la situation, refaisant ses pas jusqu'à la sortie. Lorsqu'il regarda derrière lui, Lina le regardait dans un coin de porte. Il tenta de lui sourire, peiné mais surtout gêné. Sa pitié pesa sur les épaules de la brune qui se renferma lentement.

Son ami l'attendait déjà à l'extérieur pour avoir sa part. Il partagea équitablement la liasse tout en dévalant les escaliers, une clope déjà entre les lèvres.

Lisko était impatient d'avoir son argent puis de partir les dépenser auprès d'une de ses nouvelles conquêtes. Mathieu, lui, les garda dans sa poche de jeans, prêt à être donné à la personne la plus importante à ses yeux.

« La prochaine, c'est moi. »

« Ça me dérange pas. » Il haussa les épaules, détaché de tout danger qu'il vivait depuis tout jeune. « Mais t'aurais vu, il y avait une meuf, complètement fonce-dé. Elle avait quoi... notre âge ? Comment une meuf peut tomber là dedans ? Elle a pas du tout la tête à baiser Franck en plus. Un vrai porc. » Une mine de dégoût gagna son visage.

« Les gens font n'importe quoi juste pour une barrette. » Lisko secoua ses billets devant son nez, indifférent de ce qu'il lui racontait. « Ou pour la money! »

Mathieu ricana, se déridant enfin après sa rencontre, serrant dans sa poche son propre délit.

Ils s'enlacèrent devant sa porte comme deux amis qui avaient tout vécu. Et, ils avaient tout vécu ensemble.

Le blond attendit qu'il disparaisse dans les couloirs pour déverrouiller la porte et s'engouffrer dans l'appartement. La lumière était éteinte mais il ne fut pas étonné au vu de l'heure tardive. Il déposa ses clés sur le meuble avant d'entrer dans la cuisine. Une assiette y était déposée, un mot doux écrit à côté.
Il n'eut le temps de réchauffer le plat qu'une petite tête brune, les yeux bouffis d'avoir dormi, pointait son nez.

« Joyeux anniversaire. »

« Enzo, va te coucher. » Le ton de Mathieu était doux malgré l'ordre donné. « Il est quatre heures du mat. »

« T'étais où ? » Il frotta ses cheveux tendrement pour dédramatiser son absence. « Papa était pas content que tu sois pas là. »

« J'sais mais j'étais occupé. » Il s'installa sur le plan de travail piochant dans la nourriture réchauffée. Elle avait préparé son repas préféré pour l'occasion. « C'est pas comme s'il n'avait jamais loupé mes anniv. » Il sortit un billet de cinquante de sa poche et lui donna. « Tu t'achèteras des nouvelles baskets pour l'école, ok ? »

« Oui, promis. »

« Maintenant, va te coucher. Et dis rien pour l'argent. T'iras avec tes potes ,ok ?»

Enzo se mit sur la pointe des pieds pour attendre une embrassade de son frère qui lui rendit rapidement tout en lui ordonnant une nouvelle fois de dormir.

Toutefois, il n'eut le temps d'apprécier le silence que c'était au tour de sa grand-mère d'approcher. Les pas étaient plus lourds et ralentis tandis que le visage était bien moins pardonné.

« On t'a attendu. »

« Mamie... »

« Non, Mathieu. C'était ton anniversaire. » Malgré sa colère, elle lui servit un verre d'eau puis prit place à la table. « Où est-ce que t'étais ? »

Il balança les billets nonchalamment. « Faire ce que mon père ne fait pas. »

« Ne commence pas. » Elle le pointa du doigt. « Tu sais que c'est compliqué en ce moment. Il a toujours tout fait pour nous. »

« Et c'est pour ça que je me démène encore plus. » Il déposa son assiette dans l'évier, prêt à clôturer la conversation. « Désolé de vouloir que mon frère ne vive pas les mêmes merdes que moi. Désolé de vouloir une meilleure vie pour toi, mamie. J'vais pas attendre qu'on soit à la rue pour me bouger. »

« On s'en sortira. T'as pas besoin de faire tout ça. Tu pourrais retravailler au garage. » Il secoua la tête avant d'embrasser sa joue tout en enfilant sa veste. « Où est-ce que tu vas ? » Il haussa les épaules, lui même ne savait pas mais tout ce qu'il voulait, c'était de s'éloigner de toutes leurs accusations. « Tu vas finir en prison. »

« Comme ça vous aurez plus besoin de m'attendre à mon anniversaire. »

Et il claqua la porte derrière lui, le cœur lourd. Il ferma les yeux, s'imaginant prendre les escaliers pour aller à la supérette 24/24 du coin et voler une bouteille d'alcool. Il avait envie d'être ivre jusqu'à ne plus savoir son nom et s'endormir dans un sommeil lourd, peut-être même ne pas en revenir.
Toutefois, l'idée de quitter sa famille, son quartier et la musique lui donna une anxiété telle qu'il mit sa main sur sa poitrine pour sentir son palpitant s'affoler. Finalement, il retourna sur ses pas, ré-ouvrant l'entrée pour tomber sur sa grand-mère qui lavait son assiette.

« Désolé, mamie, j'pensais pas ce que j'ai dit. » Il enfonça ses ongles dans sa nuque pour retenir ses angoisses. « J'aurai dû être là pour mon anniversaire. C'était pas cool. »

« Non, c'était pas cool. »

Mathieu se pinça les lèvres, la culpabilité rongeant tous ses arguments. Face à sa froideur, il fila dans sa chambre pour s'asseoir devant son ordinateur. Il effrita sa consommation dans ses mains moites, un besoin immense de s'enfermer dans une bulle. Il s'enfonça un peu plus dans son fauteuil. Il ferma les yeux, profitant de l'instru dans son casque tout en murmurant Joyeux anniversaire Polak.

Rusted Souls [PLK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant