LVIII. 29 octobre 1935 - le monstre

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Cela faisait une heure que Charis fixait la pierre tombale. Une heure qu'elle essayait de lire le nom de Cedrella sans ressentir de peine. Une heure qu'elle échouait. Son coeur ne faisait que chavirer. 1915-1935. Sa vie s'était arrêté là. Le monde continuait de tourner, les gens continuaient de parler, rire, sourire, mais pas elle. Pour elle, le temps s'était suspendu et ne reprendrait jamais.

Elle avait eu deux soeurs et se retrouvait seule. Tout était arrivé trop vite. D'abord Callidora, ensuite Cedrella. Quel sort lui était-il réservé, à elle ? Leur fratrie était maudite, ou plutôt, leur famille. Les Black, quel joli nom. Personne ne se doutait de ce qui se cachait derrière. Elle-même venait de le découvrir.

Son nom gravé dans le marbre faisait mal. Cedrella. On ne lui avait même pas assigné de nom. Le mot Weasley aurait été une honte dans leur tombeau, le mot Black lui avait été arraché quand Cassiopeia avait brûlé son portrait de l'arbre génénéalogique. Sa cousine avait prétendu vouloir la ramener parmi eux tout en maintenant l'éternelle punition. Et voilà ce qu'ils obtenaient.

Un cadavre sans nom.

-Tu devrais rentrer.

Charis se retourna pour se retrouver face à Dorea. Sa cousine portait son indécrochable regard innocent, un noeud de velours vert décorant son cou. Elle était peut-être la seule Black existente à avoir de bonnes intentions.

-Je n'ai pas envie de voir Cassiopeia.

-Elle s'en veut, tu sais.

La bouche de Charis se tordit dans une grimace amère.

-Tant mieux.

Elle était la seule responsable de ses malheurs. Sans elle, ses soeurs vivraient encore. Peut-être que Cedrella ne serait jamais revenue, mais le fait de la savoir saine et sauve ôtait un poids. À présent, Charis croulait sous le chagrin. Mais l'important était de ne pas le montrer. Alors porter un masque impassible était la seule solution qu'elle avait trouvé. Elle détourna la tête et ne décrocha pas le regard de la tombe. Dorea s'avança jusqu'à arriver à sa hauteur. Charis n'eut pas le courage de la faire repartir, même si l'envie ne lui manquait pas.

-Ce n'est pas Cassiopeia qui l'a tuée.

-Nous savons toutes deux pourquoi elle s'est jetée de cette fenêtre.

-Régulus est aussi responsable.

-Je n'ai jamais dit le contraire.

Contrôler sa voix pour ne pas la faire trembler était difficile, mais elle y arriva.

-Elle avait un fils, déclara-t-elle en sentant sa gorge se nouer.

-Tu es hypocrite.

Charis se retourna vivement vers sa cousine, déconcertée.

-Pardon ?

-Cassiopeia lui a peut-être ôté ses souvenirs la première fois, mais tu as été la première à lui faire croire des mensonges. Je t'ai vue avec Oliver Flint. Si tu te souciais vraiment de son bien-être, tu lui aurais dit la vérité. Mais tout ce que tu as fait, c'est l'enfoncer dans une vie qui n'était pas la sienne. Et maintenant qu'elle est morte, tu rejettes la faute sur ma soeur. Cassiopeia a peut-être une part de responsabilité dans sa mort, Régulus aussi, mais toi, Charis, tu l'as trahie. Et tu aurais recommencé si on te l'avait demandé. Alors ne joue pas les innocentes et dis-toi que si Cedrella a voulu en finir, c'est parce qu'elle savait qu'elle n'avait plus personne à ses côtés.

-Parce que tu l'as aidée toi peut-être ?

-Moi ? Je n'ai jamais dit que je n'avais rien à me reprocher.

Ascension - 𝔅𝔩𝔞𝔠𝔨 𝔖𝔢𝔯𝔦𝔢𝔰 IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant