L. 9 avril 1935 - le cauchemars

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Les ténèbres s'enroulaient autour de ses jambes. Callidora nageait dans l'obscurité, une ombre étouffante qui se glissait dans ses poumons et lui retirait son oxygène. Elle se retourna. Une lumière plus blanche que la lune elle-même vacillait à quelques mètres, prisonnière derrière une épaisse porte de bois dérobée. Callidora tendit la main dans sa direction. Elle voulait aller là-bas. Elle voulait passer cette porte. Elle voulait échapper à l'ombre pour s'immerger sous la lumière.

Son pied se leva pour réaliser le premier pas. Soudain, de longs doigts osseux le retint. Callidora hoqueta.

-Ne...fais...

-Pas encore, lâchez-moi !

-...pas...

-Non !

-...ça...

L'horreur la saisit à la gorge et chercha à l'étrangler. Elle voulut dégager son pied, mais l'emprise était puissante. La lumière luisait toujours à travers les fentes de la porte, un espoir trop loin à atteindre, comme les étoiles aux yeux d'un enfant. Callidora avait juste à avancer pour l'atteindre, mais non. Elle ne pouvait pas, on l'empêchait, on la noyait. Elle tira sur la prise. Trop désireuse d'aller à l'avant, son poids du corps l'attira vers le sol à la manière d'un aimant.

L'impression de tomber du haut d'un tour. De tournoyer dans les airs, puis se cogner à la pierre froide. Chercher à se relever, rechuter, encore et encore.

"Ne...fais..."

Elle voulut respirer, mais les ténèbres se posèrent sur sa bouche.

"...pas...ça...".

Qu'il se taise, qu'il se taise, elle n'avait pas eu le choix, non... Où était la lumière ? Pourquoi ne parvenait-elle pas à la voir, entre tous ces nuages noirs ? Pourquoi sentait-elle cette froideur s'étendre dans son âme, la craqueler, la briser puis éparpiller ses morceaux à travers l'obscurité ? Pourquoi autant de poids, autant de douleur quand elle n'avait rien fait ?

Assassine, assassine, assassine.

Deux yeux rouges l'observaient. Elle l'avait laissé mourir. Elle l'avait abandonné. Et à présent, la lumière s'éloignait, un peu plus, un peu plus, un peu plus...

Une énorme inspiration lui gonfla à nouveau ses poumons quand elle se dressa sur son lit, droite comme un arc. Ses yeux agrandis par la peur parcoururent la pièce en quête d'une quelconque menace, mais seul le silence l'accueillit. Il n'y avait ni voix, ni ténèbres, ni lumière. Seulement elle dans cette chambre. Et Harfang qui dormait profondément à ses côtés.

Ses pieds se déposèrent délicatement sur le sol. Elle noua autour de sa taille la ceinture de sa robe de chambre et sortit de la pièce sans faire un seul bruit. Sa silhouette découpa l'obscurité de la nuit. Arrivée dans le salon, des étincelles furent projetés du bout de sa baguette et réveillèrent l'âtre. Bientôt, les flammes naquirent et se mirent à danser allégrement. Callidora se servit un verre de vin puis s'installa dans le fauteuil. Dans ses pupilles, l'éclat doré du feu se reflétait.

Cela faisait plusieurs fois qu'elle faisait ce cauchemars. Au début, elle avait juste pensé qu'Adonis la hantait, que ses actes lui pesaient plus sur sa conscience qu'elle ne le pensait. Mais à mesure qu'elle y réfléchissait, les éléments des rêves prenaient un tout autre sens. La lumière n'était pas la paix spirituelle à laquelle elle aspirait. L'indifférence qu'elle avait montré face à Adonis n'était pas la nature de son traumatisme. Elle haïssait profondément les Rosier, et elle jugeait convenable le fait de leur avoir fait payer le prix de leur humiliation. Non, son cauchemars avait une signification plus ancrée.

La lumière était Cassiopeia.

Elle avait d'abord nié cette hypothèse. Elle aimait sa cousine comme sa propre soeur et ne la considérait responsable d'aucun de ses malheurs. Puis elle avait compris que la question n'était pas si elle l'aimait ou pas. La question était ce qu'elle représentait à côté d'elle. Callidora avait été son ombre toute sa vie. Cassiopeia brillait, c'était dans sa nature. Aussitôt qu'on la mettait de côté, elle criait au scandale et tous les regards convergeaient de nouveau vers elle. Mais la soirée du Nouvel An lui avait montré que, une fois de plus, elle se salissait les mains pour elle. Elle avait gardé le secret de sa relation avec Pollux, elle avait menti à plusieurs reprises pour elle, et maintenant elle tuait. Pour elle. Tout ça pour quoi ? Où était la reconnaissance qu'elle méritait ? Il n'y en avait pas. Cassiopeia avait tellement pris l'habitude de se servir qu'elle oubliait parfois de rendre la pareille.

Ascension - 𝔅𝔩𝔞𝔠𝔨 𝔖𝔢𝔯𝔦𝔢𝔰 IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant