LXIII. 7 février 1936 - le retour

109 15 48
                                    

Callidora avait réappris à vivre paisiblement. Au début, ses nuits avaient été mouvementées. Elle ressentait la coulée glaciale du monstre, les visions d'horreur qu'il lui faisait voir, et chaque fois qu'elle fermait les paupières, elle avait l'impression que c'était lui qui voilait ses yeux. Harfang ne la quittait pas, la serrant toujours contre lui et la réveillant quand elle se mettait à hurler. Parfois, elle ne dormait pas parce qu'elle avait peur. Peur de se retrouver à nouveau dans cette chambre hantée. Peur d'atterrir dans les sous-sols. Peur de souffrir.

Puis elle avait compris que plus rien ne pouvait lui faire de mal.

Sa conscience s'était aussi réveillée, et avec elle, la mémoire. Le crime qu'elle avait commis la rongea. Alander était mort sous sa main, elle l'avait vu se vider de son sang. Quand elle se regardait dans un miroir, elle se dégoûtait. Elle avait abandonné Adonis alors qu'il était mourant, elle avait égorgé son frère. Deux hommes. Deux vies. Deux âmes.

La pouvait-on qualifier de tueuse ? C'était dans ces mêmes moments qu'elle se déshabillait et contemplait ses cicatrices. Les traces de fouet de Marianne. Les choc électiques du Doloris. Elle se trouvait laide, couverte de honte et de sang. Et alors, elle se mettait à pleurer. Comme ça. On ne pouvait pas dire sans raison, parce qu'elle avait mille raisons de laisser couler ses larmes, mais elle se demandait parfois pourquoi elle ne le faisait que maintenant. Dans les sous-sols, et même dans la chambre, elle avait hurlé. Mais jamais un seul sanglot n'avait franchi ses lèvres.

Maintenant, pleurer l'horripilait.

Harfang faisait tout pour l'aider, mais Callidora refusait qu'on la plaigne. Quand elle craquait, elle craquait seule. Arborer un sourire était bien plus confortable, il n'y avait pas ce regard de pitié ou ces sourcils en peine qui se levaient. C'était sa lutte, pas celle des autres. Quelque chose que son époux avait du mal à comprendre mais qu'il acceptait.

Un dimanche après-midi, elle se décida enfin à aller voir sa famille. Harfang leur avait communiqué son retour, mais il lui avait laissé quelques temps pour se remettre. Callidora n'était pas forcément prête, mais elle se força à y aller. Elle ne souhaitait pas les faire attendre éternellement. Avec un filet pour cacher son visage et une robe cintrée et stricte, elle espérait garder sa dignité. Sa couleur fut le rouge, parce que le noir lui rappelait bien trop le monstre.

Quand elle passa la porte de son Manoir d'enfance, ce fut comme si elle mettait un pied dans une autre vie. Elle avait quitté cet endroit pleine d'innocence et y revenait avec un corps couvert de cicatrices. Ses épaules étaient chargés de deux meurtres et son visage tentait de paraître impassible pour cacher le désespoir dans lequel elle se noyait. Tout n'était qu'une question d'évolution après tout.

Son cousin Arcturus fut le premier à l'accueillir, la serrant chaudement contre elle. Mélania vint avec Lucretia. La petite fille la fixait avec des grands yeux ; à seulement quatre ans, elle était le portrait craché de son père. Callidora caressa sa joue avec tendresse, songeant à ses propres enfants qu'elle rêvait d'avoir. Et si, après tout ce qu'elle avait subi, elle n'était pas capable d'en avoir ?

Lycoris trembla sous l'émotion de la revoir, ainsi que Dorea. Cassiopeia et Régulus brillaient par leur absence. Ces lâches. Les seuls responsables de son enlèvement n'osaient pas être là pour son retour. Cependant, elle garda son amertume pour plus tard quand Charis lui sauta au cou. Sa soeur avait grandi en quelques mois. Elle avait mûri. Ses traits étaient beaucoup plus posés et sérieux, ils avaient perdu un peu de leur arrogance. Alors qu'elle se séparait d'elle, une voix masculine gonfla sa poitrine de joie.

-On m'a rendu ma fille.

Son père avait considérablement vieilli. Des rides marquaient son visage, ses pupilles croulaient sous l'épuisement. Quand elle comprit que c'était dû à sa disparition, elle posa une main sur sa bouche pour s'empêcher de pleurer.

Ascension - 𝔅𝔩𝔞𝔠𝔨 𝔖𝔢𝔯𝔦𝔢𝔰 IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant