LII. 14 août 1935 - la manipulation

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Callidora fixait la lettre de sa cousine comme si celle-ci lui annonçait une condamnation à mort. Le parchemin était posé sur la table de la salle à manger, attendant tranquillement d'être ouverte. La jeune fille avait juste peur de lire ce qu'elle contenait. Cassiopeia pourrait lui demander de lui rendre un service, une énième fois. Comment pourrait-elle dire non ? Elle le devait, oui. Elle devait refuser.

La discussion avec Cedrella juste avant sa fuite tournait en boucle dans sa tête depuis des mois. Chaque fois qu'un membre de sa famille lui parlait, elle avait l'impression d'être manipulée, vulgairement utilisée. Elle n'osait plus assister aux dîners familiaux, refusait la présence d'un de ses cousins. Cassiopeia avait voulu la voir mais elle avait refusé immédiatement.

Elle était sa plus grande peur.

Sa cousine était maîtresse dans la manipulation, elle ferait tout ce qu'elle voudrait d'elle. Alors autant se tenir aux lettres. Au moins, la distance ne l'inciterait pas à lire dans son esprit.

Mais même ainsi, Cassiopeia possédait des mots qui menaient à la confusion, et Callidora était terrifiée à l'idée de céder. Peut-être voulait-elle qu'elle tue de nouveau pour elle. Qu'elle se tâche de sang, qu'elle torture, qui savait.

Finalement, elle s'en empara et traversa la demeure jusqu'au bureau d'Harfang. Peut-être qu'il saurait lui donner une réponse satisfaisante.

Elle déposa la lettre sur le bureau alors qu'il était encore en train d'écrire. Sa surprise le fit froncer des sourcils.

-Qu'est-ce que c'est ?

-Une lettre de Cassiopeia. Lis-la et en fonction de ce qu'il y a dedans, dis-moi ce qu'elle raconte.

Mais il ne fit rien de ce qu'elle lui demandait. Il s'enfonça dans le dossier de son siège, croisa les mains sur son abdomen et la dévisagea.

-En premier tu vas me dire ce qui t'arrive.

-Ce qui m'arrive ? fit-elle nerveusement.

Il ne lui arrivait rien du tout. Elle ouvrait juste les yeux sur sa condition, c'était tout. Comment avait-il pu noter un changement ? Il n'y en avait aucun. Non, absolument aucun.

-Oui, ce qui t'arrive, articula-t-il lentement. Tu t'isoles. Tu refuses d'adresser la parole à un membre de ta famille. Et ça, depuis plusieurs mois. Ne crois pas que je n'ai rien remarqué.

-Je ne m'isole pas, se défendit-elle.

-Tu ne vois plus personne. C'est ce que j'appelle s'isoler.

Elle fut parcourue d'un tremblement. Cela n'échappa pas à Harfang. Ses yeux devinrent deux fentes suspicieuses. Elle avait eu tort de venir ici. Peut-être même faisait-il parti d'une affaire et qu'il tentait de la convaincre que personne ne la contrôlait pour justement, la contrôler plus encore. C'était un cercle vicieux : plus elle avait l'impression de se libérer, et plus elle s'enfonçait.

-M'occuper de cette maison prends tout mon temps, c'est tout, souffla-t-elle.

-Nous avons des elfes de maison pour ça, je te l'ai déjà dit. Et il y a autre chose. Je le sais.

-Non, tu ne sais rien.

-Callie...

-Lis cette maudite lettre !

Il resta quelques secondes immobile, déconcerté par sa réaction. Après un long instant, il déplia enfin son bras pour ouvrir le parchemin.

Callidora analysa la moindre réaction de son visage. Une illumination, une contracture, une lueur de colère, n'importe quoi. Mais ses traits n'exprimèrent rien de plus que la neutralité de tout les jours. Il laissa tomber la lettre sur son bureau d'un air las.

Ascension - 𝔅𝔩𝔞𝔠𝔨 𝔖𝔢𝔯𝔦𝔢𝔰 IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant