Carolina

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Un fouet dans la main et le saladier coincé contre mon ventre, je bats les œufs. Leonardo est à côté de moi et s'occupe de beurrer les moules à muffins.

C'est plutôt étrange de voir ses larges mains tatouées, être si minutieuses et appliquées.

En fond une petit musique de joue. « Please Please Please » de Cats On Trees.

Je souris doucement en regardant ma mixture se mélanger. Il fait beau dehors et je me sens enfin apaisée. Victoria fait sa sieste en haut et j'en ai pour au moins deux heures.

Petite, j'avais l'habitude de cuisiner avec ma mère. Elle n'aimait pas ça mais elle a toujours fait en sorte de me faire plaisir et si cela passait par la pâtisserie, alors elle le faisait. Elle avait des tonnes de carnets de recettes sucrées mais jamais elle ne les rouvrait. Elle les appelait « Les au cas où ».

Je souris à ce souvenir et rejette la tête en arrière pour mettre mes cheveux dans mon dos.

-J'avais l'habitude de pâtisser avec ma mère.

Leonardo relève la tête vers moi.

-La plupart du temps, je finissais les plats au doigt et on brûlait nos gâteaux. Je rigole doucement.

Il rigole doucement.

-Tu pâtissais quoi?

-Des pancakes! J'étais la pro des pancakes. Papa et maman en raffolaient. Papa n'a jamais été penché gâteaux mais à chaque fois que j'en faisais, il les dévorait.

Je hoche la tête pour affirmer mes propres propos.

Ils m'ont tellement appris. Avec eux, je dessinais sur la table de cuisine et rapidement, ils ont été succédés par abuela. J'ai été une adolescente très renfermée.

On remercie le harcèlement.

Quoiqu'il en soit, mes dessins ont vite été remplacés par des écrits. Des poèmes, des histoires d'amours tragiques. Je n'ai jamais réussi à écrire quelque chose de joyeux. Ma plume a toujours été portée par mes peines et mes maux.

Mes yeux ne coulaient pas mais l'encre de mon stylo, oui. Écrire des histoires d'amour était mon passe temps favoris. Me perdre dans un univers irréel et protecteur. Le problème avec les histoires c'est qu'une fois terminées, elles nous laissent un vide et une peine encore plus grande.

J'espère qu'un jour, j'arriverai à écrire une histoire ou des poèmes joyeux. Même si je sais qu'ils seront parsemés de tragédies.

Comment apprécier le bonheur à sa juste valeur si on ne connaît pas le goût du malheur?

-Chaque plat qu'ils faisaient, ils me demandaient trente fois si c'était bon. A force je répondais que non. Ils se vexaient et après j'étais punie. Je rigole en pensant à la chipie que j'étais.

Leonardo me regarde sans rien dire.

-Moi je n'ai jamais connu ça.

Je relève les yeux vers lui et pince mes lèvres. L'enfant qu'a été Leonardo a vite fait place à un garçon froid et sadique.

-C'est pour ça que je t'ai forcé à m'aider. Je vais essayer de te faire vivre tout ce qu'un enfant doit vivre.

-Mieux vaut tard que jamais. Dit-il en haussant les épaules.

-Exactement! Après on fera du dessin.

Il me regarde impassible.

-Ne pousse pas le bouchon trop loin quand même. J'ai passé l'âge de dessiner des maisons.

Rouge Carmin Où les histoires vivent. Découvrez maintenant