Golden Souls [PLK]

22

Grâce à l'arrivée d'Antoine, producteur, le staff avait préparé un repas collectif dans les backstages. Mathieu en était ravi parce qu'il ne supportait plus les repas rapides dans le bus ou de la nourriture trop conséquente des restaurants. De plus, il se sentait plus calme, plus apaisé parce que la tournée se terminait bientôt mais aussi parce que Lina était là. Celle-ci restait sur la réserve, encore perturbée par l'agression de sa meilleure amie ainsi que des conséquences de ses traumatismes, comme si la diminution de son anxiété mettait en avant ses actes et ses pensées perturbés. Et son fiancé, lui aussi, s'en rendait compte. Malgré son empathie certaine,elle en avait honte.

«  Tu cogites, princesse. » Mathieu rapprocha sa chaise de celle de Lina. Il passa son bras sur le dossier de la sienne tandis que son autre main approchait son assiette. « Mange un peu. » Elle refusa d'un geste. Il fronça les sourcils avant de dégager ses cheveux derrière son oreille. Ses joues et ses yeux étaient encore marqués par son asphyxie et malgré le maquillage, on pouvait clairement les voir. Il savait pertinemment qu'elle y pensait sans cesse, en se voyant dans le miroir, ou simplement en fermant les paupières. Il aurait aimé pouvoir tout effacer d'un baiser. « Tu veux qu'on aille autre part ? »

« Non, profite de la soirée. » Elle recula son siège avant d'embrasser sa joue. « J'reviens. »

Elle se leva mais il attrapa sa main. « Lina. » Son ton était suppliant. Il voulait qu'elle parle mais à la place, elle se libéra et se dirigea vers la porte pour y disparaître. Mathieu jura, la peine sur ses épaules. Il voulut se lever à son tour mais Inès le retint.

« Laisse-moi y aller. »

Il ne répondit pas, se glissant seulement dans sa chaise. Il ne put s'empêcher de se demander s'il n'avait pas une part de responsabilité dans son humeur. Après tout, il l'avait mis face à son fonctionnement traumatique ce matin, sur la banquette. Ça n'avait pas été le but mais pourtant, l'effet avait été là et il avait vu dans le regard de Lina, une lueur perplexe, presque d'embarras. Il l'avait rassurée au mieux mais se rendait bien compte qu'une agression et qu'une manipulation ne se terminaient pas seulement parce que l'assaillant n'était plus là.

Inès fit les couloirs, ouvrant toutes les portes à la recherche de Lina avant de la trouver sur la scène où Mathieu avait performé quelques heures plus tôt. La salle était vide et les agents nettoyaient dorénavant. Elle prit place à ses côtés, sans un mot, attendant qu'elle fasse le premier pas.

« J'sais pas comment il fait pour monter sur scène. C'est effrayant. » Inès ne put qu'acquiescer. « Il est complètement fou. » Elle secoua la tête, quittant des yeux l'environnement pour fixer ses genoux. « Complètement fou. »

« Dis-moi si je me trompe... mais tu parles pas que du rap. Pas vrai ? »

Lina se pinça les lèvres. « Tu sais, les réseaux sociaux ne me touchent pas parce qu'ils ne nous connaissent pas. Ils sont biaisés et souvent envieux parce qu'ils ont l'impression que nos vies sont parfaites. Autant dire qu'ils ont tort. » Elle secoua la tête tout en tirant sur un fil de son jeans, l'enroulant autour de son doigt. « Sauf pour un truc. Mathieu pourrait avoir beaucoup mieux. » Inès se retint de l'interrompre. Elle savait que l'empêcher d'en parler serait contre productif. « Il a tellement évolué et mûrit. Il a su se battre contre ses démons et en a construit des qualités humaines que tout le monde devrait lui envier. »

« L'amour rend aveugle. »

Lina pouffa légèrement. « Je t'assure que je suis objective. J'y pense assez et je connais ses défauts. »

« Où est-ce que tu veux en venir ? Il est le seul à pouvoir choisir qui il aime. Si on peut supposer qu'on a un quelconque choix sur ça. »

« Je sais. » Elle s'allongea contre le sol et son amie fit de même. Elle se demanda si Mathieu l'avait déjà fait, s'il avait déjà pris le temps de réaliser le pouvoir de la scène, de ses lumières à ses vibrations, et des fans, de leurs voix à leurs dévouements. « Ce matin, on a fait... enfin presque l'amour. Il a remarqué que j'étais mal à l'aise s'il me donnait du plaisir et que je ne lui en donnais pas, activement. »

« Pourquoi est-ce que ça te rend mal à l'aise ? »

« Marcus a complètement retourné mon cerveau. » Elle secoua la tête avant de cacher son visage de ses mains. « Tu sais, c'est comme les gens qui regardent du porno et qui pensent que le sexe, c'est ça. J'ai le même sentiment mais moi, c'est pas le porno mais Marcus, et j'en ai tellement honte. » Ines attrapa ses poignets pour l'empêcher de se cacher. Lina apprécia de voir que le regard de son amie n'avait aucunement changé malgré ses propos. « Je déteste être ...comme ça... de culpabiliser parce que j'aime ce que Mathieu me fait ressentir... et j'entends Lucie me dire que je suis une putain, que... merde. J'veux juste être normale. »

« Et vous en parlez ? » Elle secoua la tête. Ils géraient comme ils pouvaient, sur le tas, au mieux. Et ça avait marché sur certaines choses mais certaines plaies étaient plus profondes, ancrées jusqu'à la moelle. « Tu sais, Antoine et moi, on est ensemble depuis plus d'une dizaine d'années. On se connaît par cœur mais pourtant on en parle encore parce que ça évolue, constamment. »

« C'est différent. »

« Je sais, bien sûr que c'est différent. Mais si vous vous posez pour en parler alors tu ne seras pas prise sur le fait. Tu vois ce que je veux dire ? » Elles se redressèrent toutes deux. « Comme ça, plus de moments malaisants. Vous en discutez avant. »

« Merci. » Elle embrassa sa joue avant de se lever et reprendre le chemin inverse. « J'arrive pas à croire que j'ai dit tout ça à voix haute. Désolée. T'avais sûrement pas envie d'entendre tout ça mais je crois que t'as raison. J'vais essayer de... lui en parler. »

Lorsqu'elles arrivèrent dans la salle, la plupart des gens étaient déjà partis. Ils ne restaient plus que les amis proches et Lina en fut soulagée. Ils se retournèrent tous dans leur direction mais elle ne vit que Mathieu qui lui souriait timidement, les mains dans son sweater et sa capuche cachant à moitié son visage. Elle en oublia ses inquiétudes et le malaise de ce matin. Elle s'avança vers lui et profita du groupe restreint pour s'asseoir sur ses genoux. Il ne tarda pas à sortir de ses poches pour la toucher et embrasser sa joue alors qu'elle le scrutait amoureusement.

« Tu te sens mieux ? » Elle hocha la tête. « Discussion entre filles ? De... nous ? »

« De ce matin. »

Il caressa ses cheveux, les coinçant derrière son oreille. « J'voulais pas... j'pensais pas du tout à ça quand j'ai dit ça. »

« J'sais mais moi oui. » Elle baissa les yeux, les joues roses. « Et quand on sera que tous les deux, j'aimerais qu'on en parle. Inès a dit que... que ça pourrait m'aider. »

« Mais on en parle, non ? On est ouvert tous les deux. Tu me dis ce dont tu as envie, moi aussi... enfin... »

« Il faut qu'on en parle avant et après mais pas... pas pendant, sur le tas, rapidement parce qu'on a envie l'un de l'autre et qu'il n'y a que ça qui compte. Tu vois ? »

« Ouais, ok, tout ce que tu veux. » Il embrassa sa joue tendrement. « Tout ce que je veux c'est que tu te sentes bien et à l'aise... J'ferai tout ce que tu veux. »