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Alma

Six mois plus tôt.

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— Will ! T'es où ? dis-je en entrant chez lui avec ma propre clef.

Je dépose les courses sur l'îlot de la cuisine, mes affaires atterrissent sur le fauteuil dans l'entrée et mes chaussures s'entassent sur le paillasson. Sur la porte, je trouve une note : « Je suis à la salle de sport, je rentre à dix-neuf heures. Bises, Will. »

Quand on s'organise une soirée série, j'ai l'habitude de venir ici directement après le boulot. D'habitude, on choisit le mercredi, mais hier, j'avais une réunion importante pour lancement du nouveau cycle de vente. J'avais oublié que le jeudi était le jour où Will fait du sport après le travail. J'ai une bonne heure à tuer avant qu'il n'arrive. Quelle mauvaise foi !

En réalité, j'adore traîner chez lui, surtout quand je suis seule. J'adore Iris et notre appartement est vraiment agréable, mais j'aimerais parfois qu'elle ne soit pas là. Pouvoir être dans ma maison, toute seule. Ne serait-ce que pour écouter la musique à fond dans le salon sans avoir peur de la déranger. D'autant qu'on n'écoute pas la même chose.

Je m'empresse de mettre la musique dans tout l'appartement et je tâche de me détendre, m'évertuant à chasser les tensions que j'accumule de jour en jour. Elles sont nombreuses et pratiquement toutes liées au travail.

Cet emploi, je l'ai aimé, et au fond, je l'aime toujours. Par contre, l'équipe, les collègues et les responsables, c'est une autre histoire. Au début, le plaisir de travailler enfin en tant que chef de produit junior dissimulait l'ambiance dégradée qui régnait déjà au sein des bureaux de Purl Boho, entre le service marketing dont je fais partie et le service commercial.

Les premiers temps, évoluer dans une entreprise de loisirs créatifs, fabriquant et distribuant essentiellement des fils à broder et à tricoter, comblait mes ambitions professionnelles et personnelles. Alors, je passais outre le caractère de plus en plus flou de mon poste. Mais au bout d'un moment, les choses ont empiré.

Ma mission était de moins en moins définie. La guerre des chefs a été déclarée et j'ai connu trois responsables marketing en deux ans. L'aspect multi-potentiel de mon profil a commencé à me desservir, puisqu'on me demandait peu à peu de compenser les manques liés aux licenciements successifs, sans me laisser l'opportunité d'évoluer. Sans omettre le sexisme polluant les couloirs et les réunions qui est devenu graduellement pesant.

Depuis quelques mois, le soir, quand je rentre, je suis en colère, triste, et épuisée. Chaque soir, j'ai besoin de toujours plus de temps pour réussir à décrocher, chaque jour, ce boulot empiète un peu plus sur ma vie personnelle.

En traversant la bibliothèque, j'attrape le bouquin qui traîne près du pouf et je m'installe sur la terrasse. La couverture textile du livre m'attire forcément et mes doigts caressent le revêtement rose pâle et rêche. Je trace les contours du visage esquissé comme une statue de profil, puis j'effleure les flammes dorées qui l'entourent.

Je serai le feu, de Diglee.

Le titre m'intrigue. Je ne m'accorde même pas le temps de survoler le résumé, je saisis la petite cordelette qui marque une page et je l'ouvre. C'est l'une des choses que je préfère chez Will. Je fais toujours une halte par la bibliothèque pour dénicher le nouveau bouquin qui traîne souvent au même endroit, sur le tapis vert au centre de la montagne de coussins. Je m'en empare avec impatience et je plonge dedans.

J'adore commencer un livre n'importe comment, en plein milieu, en lisant seulement un paragraphe ou parfois des chapitres entiers. Ça m'est égal de ne pas connaître le début, ou la fin. J'aime découvrir le style d'écriture, je m'attarde sur les descriptions ou le choix des verbes. J'apprécie d'être propulsée dans un rythme effréné ou au contraire dans une bulle hors du temps.

Little CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant