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Alma

Présent

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La fille du printemps de ses dix-neuf ans. Mais qu'est-ce que cela peut-il bien signifier ? On s'est rencontré l'automne précédent, quand nous avions dix-huit ans. La fille de l'automne de ses dix-huit ans, à la rigueur, je veux bien. Mais le printemps suivant ? Est-ce à ce moment-là qu'il a commencé à craquer pour moi ? Est-ce que c'est l'instant où les choses ont changé pour lui ?

Je me souviens d'avoir été séduite par Lake, à la seconde où je l'ai vu, les paupières closes, dans la chambre de Will. Mais j'ai sombré pour lui, au moment où il m'a pris la main pour me cacher dans les arbres alors que je venais de braquer un pot de fleurs. Je crois que j'ai craqué une nouvelle fois quand dernièrement, j'ai appris que c'était sa maison que j'avais cambriolée, et ses parents que j'avais réveillés. Mais peut-être que pour lui, c'était plus tard. Will ne m'avait pas directement avoué qu'il s'intéressait à moi. Si je me souviens bien, il m'a seulement dit qu'il était attentif à mon sujet.

Je souris à Lake, avec l'envie étrange d'en savoir plus. Je ne suis pas à l'aise avec notre passé et je ne suis pas certaine d'être prête à en parler, encore moins avec nos amis, mais il me regarde avec une telle tendresse que je souhaite découvrir au moins cette histoire. Alors, je vais faire une exception, avec la sensation que je vais aimer la suite, comme pour la soirée d'inauguration. Oui, je crois que je veux savoir en quoi je suis la fille du printemps de ses dix-neuf ans.

— Qu'est-ce que cela signifie, Lake ?

— Je ne leur ai jamais parlé de nous, mais ils ont quand même fini par être au courant que j'avais perdu...

— Enfin ! siffle Will.

— Que j'avais enfin perdu ma virginité, au printemps de mes dix-neuf ans. Et maintenant, ils savent que c'était avec toi.

Sa virginité ? Mais Lake n'était pas vierge ! Il n'avait pas eu de rapport depuis plus d'un an, pas depuis toute sa vie. Il ne m'aurait pas menti, c'est impossible. Et puis, il avait vraiment l'impression de savoir quoi faire de son corps, comme du mien. Eh oui, de mon point de vue, c'était parfait.

Putain, j'ai le sentiment inverse maintenant. Je ne veux pas savoir. Je ne suis pas prête. Ça sent l'embrouille. Ça sent la bagarre. Ça sent la merde, putain ! J'aimerais que l'alarme incendie se déclenche, qu'un tsunami défonce la vitrine, qu'un inconnu s'étouffe pour faire diversion. Mais non, au lieu de ça, et faute de faire profil bas, je m'offusque.

— Quoi ? Mais pas du tout ! m'exclamé-je.

— Je t'ai dit que j'étais vierge, Alma. Tu ne t'en souviens pas ?

Et puis, il a dit dix-neuf ans ? Mais non, c'était plus tard. Et tout s'emballe dans ma tête, tout bouillonne et tout monte en chauffe. J'ai perdu ma virginité, physiquement, je veux dire quand j'avais dix-sept ans lors d'un festival. J'ai eu mon deuxième rapport, quand j'avais dix-huit ans, avant la rentrée, peu avant de rencontrer les garçons. Je sais que je n'ai pas couché avec Lake cette année-là. C'était bien après ça. Il déconne, non ? Il ne s'en souvient pas ou quoi ?

— Ce n'était pas cette année-là et je suis sûre que tu n'étais pas vierge. Enfin, sauf du cunni. En revanche, moi, oui.

— Je ne te suis plus, tu m'avais raconté que tu avais couché avec deux mecs. Tu me l'as dit juste après le film.

— Le film ? murmure Riley.

J'ai la même pensée que lui. Le film ? Celui que j'avais emmené, avec le vidéoprojecteur ? Rien à voir ! C'était le soir où l'on avait joué à cache-cache dans la maison. Je m'étais planquée dans le placard de l'entrée, derrière les manteaux, et il était déjà là. Quand je m'en suis rendu compte, j'ai souhaité sortir, mais il m'en a empêché. Tout ça pour ne pas perdre.

— Le film, c'était la deuxième fête qu'elle faisait avec nous, précise Will.

— On a couché ensemble l'hiver de nos vingt-et-un ans, m'exclamé-je. Pendant la partie de cache-cache, putain ! Tu m'as embrassé dans le placard, Lake.

— Quoi ? dit Lake qui semble atterré.

— Merde, souffle Will en chuchotant, le gâteau au chocolat.

— Oh, putain ! s'écrie Riley en même temps que lui. Alma, la deuxième soirée, c'était la cinquième fois !

— Quoi ? dis-je en même temps que Lake.

Putain, d'écho ! Je panique. Je disjoncte parce que maintenant, je m'en souviens. Je me rappelle de la conversation avec Riley, lorsque je lui ai retracé l'historique de mes black-outs. Je lui avais dit que... Mais non ! C'est impossible, je dois confondre. C'était il y a longtemps, je dois forcément mélanger les dates. Il ne peut pas en être autrement.

— Qu'est-ce que tu racontes ? demande Lake, pas loin de paniquer lui aussi.

— Alma, la deuxième soirée que tu as faite avec nous, explique Riley avec calme, c'était la cinquième fois que tu as fait un...

— Oh, putain !

Je suis horrifiée. Je n'ai pas confondu les événements. C'est bien ça. La nuit dont parle Lake, c'est la soirée dont j'ai oublié une bonne partie. Quelques heures, peut-être trois heures en tout. J'avais essayé de combler les trous avec Will, on pensait avoir réussi à retracer l'histoire. Mais, si Lake affirme que nous avons... Oh, putain ! Non, pas lui. Pas celui que j'ai toujours voulu. Pas comme ça. Le tsunami devait faire diversion, pas me noyer en eaux troubles, et certainement pas, tout emporter sur son passage.

— Est-ce que je peux savoir ce qu'il se passe ? insiste Lake.

Je secoue la tête, incapable de parler. À quoi bon ? Comment lui dire que je l'ai oublié ? Que cette soirée n'a jamais eu d'emprise sur moi ? Comment ? Je regarde Riley d'un air suppliant.

— Lake, tu sais qu'Alma ne boit jamais d'alcool, non ?

— Oui, elle boit de la ginger beer.

— Mais pas à l'époque, pas encore. Elle a arrêté de picoler, l'année de... Ouais, je crois que c'est ça, l'année de vos vingt ans, après la teuf qui a un peu dérapé. Avant ça, elle en buvait parfois, et même si elle modérait sa consommation, elle avait des black-outs fréquents. Ça survenait sans prévenir et dans des circonstances toujours différentes. Le dernier s'est produit lors de la célébration du printemps, l'année de vos dix-neuf ans.

Je regarde Lake qui écoute Riley attentivement, pourtant, il semble ailleurs. Il paraît chercher une issue. Il se tourne vers moi, lentement, et ses yeux plein d'incompréhension, ses magnifiques iris noisette trouvent les miens. Et je le sais. Rien ne me semble plus évident à présent. On n'aurait jamais dû avoir cette conversation. Jamais, putain !

— Tu veux dire que... Alma, tu ne t'en rappelles pas ? Tu ne te souviens pas de nous.

Little CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant