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Alma

Un an plus tôt

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— Allez ma petite Alma, je suis sûre que c'est dans vos cordes, me provoque Olivier Pradel en lorgnant sur mon décolleté.

Je me retiens de l'envoyer se faire foutre, mais nous sommes seulement tous les deux dans le couloir et son regard, à l'instant, il me fait flipper. Je ne réponds rien, je tente de garder un visage neutre. Rien ne peut t'atteindre, Blunt !

Surtout pas lui. Le plus simple serait de partir, d'aller à la boulangerie la plus proche et d'acheter pour le compte de l'entreprise, un assortiment de viennoiseries ou une boite de cannelés en vue de la réunion marketing et commerciale de l'après-midi. Mais jamais je ne m'abaisserai à ça, putain !

Si la demande émanait de ma responsable, ou même du directeur, j'aurais pu l'envisager, mais certainement pas venant de lui. Surtout qu'il s'agit d'un meeting, pas d'un goûter ! Mais devant son regard de plus en dérangeant, je ressens le besoin de m'enfuir et de couper court. Au lieu de forcer le passage pour rejoindre mon bureau, je me faufile à gauche et je descends l'escalier.

Quelques minutes après, je me retrouve dans la rue, devant une boulangerie. Et je me déteste. Je me déteste parce que j'ai deux sachets plein de croissants et de pains au chocolat dans les mains.

— Si je fais ça une fois, je suis foutue, marmonné-je en marchant jusqu'à l'esplanade la plus proche.

*

— Ça va, Herrera ? me demande un homme dans la rue.

Je me tourne vers lui et je découvre un sans-abri, assis contre un mur.

— Luis ! dis-je en le reconnaissant. Vous voulez prendre le petit-déjeuner avec moi ce matin ?

Il éclate de rire et se redresse pour me faire de la place. Je lui tends les sachets et je vais chercher deux chocolats chauds, deux jus d'orange, une bouteille d'eau et un sandwich pour son déjeuner. Épaule contre épaule, nous prenons un petit-déjeuner copieux. Le tout, silencieusement. Religieusement même.

Luis, je le connais depuis que je travaille à Bordeaux. Il s'installe sur cette place, juste à côté de nos locaux, tous les jours sauf le mercredi et le dimanche. Je n'ai jamais su pourquoi.

Un jour, alors que j'habitais encore dans un petit studio près de la gare et loin du boulot, le vélo que j'utilisais pour me déplacer a crevé. Durant ma pause déjeuner, j'ai acheté de quoi réparer mon pneu. Quand Luis m'a vue, j'avais les doigts plein de cambouis et des traces abstraites sur le visage. Il s'est proposé de m'aider. Il a même souhaité s'en occuper seul pour que je puisse retourner travailler.

Honnêtement, je n'ai pas hésité une seconde. À aucun moment, je n'ai imaginé qu'il pourrait me voler mon vélo, le mettre en pièces ou le vendre au plus offrant. Non, j'étais confiante. Et j'ai eu raison, parce qu'à la fin de la journée, ma bicyclette était comme neuve. J'ai voulu payer son travail à sa juste valeur, mais il a refusé. Après une rude négociation, nous sommes tombés d'accord sur un déjeuner. Le lendemain, nous mangions au bistrot du coin.

Depuis, on discute parfois, l'été on partage des boissons rafraîchissantes et je lui offre des vêtements que je récupère au boulot. D'anciens modèles des années précédentes, des prototypes tricotés, des pulls, des couvertures, des bonnets, des écharpes et des gants qu'on n'utilise plus et qui s'entassent dans des cartons. Je pourrais certainement me faire virer pour ça. Mais je pioche seulement dans les archives datant de plus d'une décennie, dont nous ne vendons plus les produits. Et l'hiver, Will lui prépare toujours de la soupe.

Little CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant