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Lake

Huit ans plus tôt

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L'été. Le soleil. Les vacances. Les rires. La joie. Mais pour moi, ça signifie deux choses. La maison. Celle que j'ai toujours plaisir à retrouver après ma première année à vivre en Angleterre. Elle. Celle que je n'ai surtout pas envie de voir après ce qui s'est passé, il y a un peu plus d'un an. Alors, je vacille entre deux états, et mon humeur changeante se traduit par de la nervosité et de l'impatience.

— Lake ! Tu vas être en retard ! m'interpelle ma mère depuis le rez-de-chaussée.

Ça fait huit fois que ma mère m'ordonne de descendre, m'annonce que je vais être à la bourre, me demande pourquoi je n'aide pas Will cette année, insiste pour cuisiner du pop-corn au caramel salé alors que je refuse, m'interroge sur la fille qui me rend aussi sauvage, me dit qu'elle m'aime, me suggère de prendre une douche ou me menace de me priver de sucre si je n'arrive pas immédiatement. Mais c'est trop tôt, si j'y vais maintenant, il n'y aura que Will, Riley et elle. Je ne peux pas gérer ça, je ne sais pas comment gérer ça. Déjà qu'on ne nous prépare pas à grand-chose dans la vie, mais certainement pas à ça.

Ça fait un an, quinze mois pour être précis, que je reste désespérément bloqué sur cet instant. Sur elle. Et pas d'une agréable façon. Cette obsession n'a rien de doux. Incompréhension. Colère. Doute. Remise en question. Perte de confiance. Déception. Colère. Beaucoup de colère, putain ! Quinze mois de merde ! La seule chose salutaire dans ma vie ces derniers temps, c'est que j'ai commencé mon cursus universitaire à Plymouth University.

À défaut de trouver l'envie de faire des rencontres, de m'amuser, de flirter avec des personnes de mon âge, je vis une expérience universitaire enrichissante. Une immersion dans un pays étranger, quoi de mieux pour se changer les idées ? Alma. Ouais, elle, ça aurait été vraiment mieux !

Je balance mon livre au sol, furieux contre moi-même de fléchir mentalement aussi facilement. Ça me fait l'effet d'une rechute. Tout ça, parce qu'elle est là, à quelques dizaines de mètres de moi, de l'autre côté de quelques cloisons et d'un jardin.

*

Une heure plus tard, après le troisième appel de Will et le deuxième de Riley, je saute par-dessus le mur du jardin. Je cache mes yeux avec ma main, comme un gamin, pour ôter la serre de mon champ de vision et j'avance vers l'attroupement sur la terrasse. Forcément, la première chose que je vois, c'est une personne. Une femme. Avec ses cheveux blonds aux mille nuances. Putain, Lake ! Sa tignasse presque blonde !

Je décide de ne pas la regarder, de ne pas prêter attention à son sourire espiègle. Je choisis de l'ignorer, de ne pas survoler ses cuisses encore pâlottes dévoilées par son short en jean à franges irrégulières. Non, je ne veux pas remarquer qu'elle a coupé la jambe gauche un peu de travers et que la droite est sensiblement plus longue. Je fais complètement abstraction de sa chemise rose qu'elle n'a même pas boutonnée, mais vaguement nouée en un gros nœud souple juste entre ses seins. La peau de son ventre et la naissance de sa brassière fleurie ne m'atteignent pas un seul instant. Encore moins ses sortes de babouches bleu clair à pompons qu'elle porte aux pieds.

Elle est parfaite, putain ! Et moi, je n'ai plus qu'à prendre le premier train pour Londres, puis un autre pour Plymouth. Disparaître. Loin d'elle. Pour ne pas oublier que je lui en veux. Pour ne pas oublier ce qu'elle a fait. Ce qu'elle m'a volé. Loin d'elle, j'y arrive. Près d'elle, j'oublie. Je dois tenir le coup. Au moins ce soir. Si je l'esquive, si je passe la soirée avec d'autres, ça devrait le faire.

Little CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant