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Alma

Neuf ans plus tôt

~

Will se laisse tomber à côté de moi sur la banquette du train au moment où ce dernier démarre.

— J'ai couru comme un fou pour te rejoindre, Al. Pourquoi est-ce que tu persistes à choisir le dernier wagon ?

— Pour que tu me trouves, toujours.

— Le premier, c'est bien aussi.

— Trop de monde.

Depuis cette année, Will et moi ne sommes plus en cours ensemble, mais nous prenons le même train pour rentrer chez nous le mardi soir. Samedi, c'est la célébration du printemps à la Villa de Will, et ça fait quelques jours que j'essaie d'en savoir plus.

— J'ai terminé de crocheter mon top pour ta fête, Will.

— Tu veux dire que tu as fabriqué ton propre haut, juste pour ma soirée ?

— Non, je l'ai commencé avant de savoir que tu ferais pour cette saison, mais ça m'a motivé à le terminer. Bon, j'aurais préféré l'été.

— Je suis flatté.

— Rien à voir avec toi.

— Tout avoir avec qui ?

Je ne réponds pas, mais il éclate de rire. Je me renfrogne, et je regarde par la fenêtre, l'air de rien, même si je tapote nerveusement sur la paroi.

— Riley et Lake seront présents ?

Je ne me tourne pas vers lui, car le sourire narquois que je perçois sur son visage, à travers le reflet de la vitre, me suffit amplement pour savoir qu'il se moque de moi.

— Oui, ils seront là.

— Cool.

Je tente de paraître détachée, mais au fond de moi, mon ventre papillonne déjà.

— Ils dorment toujours chez toi ?

— Oui, bien sûr. Tout comme toi, non ?

— Euh, ouais. Oui, bien sûr.

Je bafouille comme une adolescente. Bon, je n'en suis pas loin du haut de mes dix-neuf ans, mais quand même. Je préfère croire que je suis plus adulte que ça. Alma ! Depuis quand tu te dégonfles, putain ? Fonce ! Je me retourne vers Will, et j'ai envie de lui mettre des claques lorsque je vois sa mine malicieuse et suffisante.

— Will, arrête ça ! fais-je en agitant ma main devant sa face.

— Quoi ?

— Cet air à la con, ça ne te va pas du tout !

Il éclate de rire et son expression bizarre disparaît aussitôt.

— C'est mieux. Bon, maintenant, tu vas devoir prendre sur toi.

— Pourquoi ?

— S'il te plaît, fais-le, c'est tout.

Il acquiesce, et j'inspire profondément, me préparant à lâcher un flot de questions.

— Lake sera là ?

— Oui.

— Il dort chez toi ?

— Oui.

— Il est célibataire ?

Il se mord la joue, domptant trop peu son sourire, mais je salue l'effort. Je retiens toujours mon souffle en attendant sa réponse.

— Oui.

Je n'arrive pas à contrôler ma joie, mon sourire se la joue solo, et une main géante recouvre mon visage.

— Continue, ça ! Cet air à la con, te va trop bien, Al !

— Gna gna gna. Tu es censé prendre sur toi, Lang ! Faire comme si je te parlais des nuages, de ma visite annuelle chez mes grands-parents ou des résultats irréprochables de mon frottis. À savoir, adopter un air faussement intéressé et profondément ennuyé.

— Mais c'est exactement ce que je fais. Si ce n'était pas le cas, j'aurais appelé Riley immédiatement, à la seconde précise où tu as spécifiquement parlé de Lake, et plus de tous les deux. Oh, il ne serait pas jaloux, je te rassure, même s'il t'apprécie beaucoup. Non, je suis certain qu'il adorait savoir que tu craques pour notre louveteau préféré. S'en suivrait alors une longue discussion, il essaierait sans doute de savoir quelles sont tes intentions. Il est très protecteur envers nous, particulièrement envers Lake. Mais il aurait adoré vous chercher un petit nom, genre Amlake ou Lakma. Donc, ouais, je crois que je prends vachement sur moi.

— Je vous déteste.

— De toute évidence, ça exclut au moins l'un de nous.

Je voudrais le laisser en plan, et offrir ma place à la dame avec le gros chien baveux, mais j'ai trop besoin de savoir.

— Est-ce qu'il t'a parlé de moi ?

— S'il me posait la même question, tu voudrais que je lui avoue que tu m'as fait passer un interrogatoire à son propos ?

— Non ! T'es un homme mort, si tu lui balances !

Il ricane et je lui flanque un coup de coude dans les côtes tout en réfléchissant. Si Will ne me répond pas, c'est donc parce que Lake lui a parlé de moi, non ? À moins qu'il ait dit ça, justement parce que Lake n'a jamais évoqué ne serait-ce que mon existence, et qu'il ne souhaite pas me blesser. Merde. Et si Lake lui demande la même chose, et s'il ne lui répond pas, est-ce qu'il pensera qu'il ne me plaît pas ? C'est encore pire.

— S'il te pose la question, tu peux lui dire que je suis une psychopathe qui t'a fait passer un interrogatoire à son propos.

— Quoi ? s'étonne-t-il.

— S'il te pose la question, s'il veut savoir si je me suis intéressée à lui, je préfère qu'il pense que je suis tarée plutôt qu'indifférente. De toute façon, il s'en est sans doute déjà aperçu, vu ce que j'ai fait la dernière fois.

— Qu'est-ce que tu as fait la dernière fois ?

— Oh, rien ! Et ce n'est pas le sujet. On parle de Lake, concentre-toi, tu veux. Maintenant, réponds-moi, est-ce qu'il t'a parlé de moi ?

— Il ne m'a pas parlé de toi, Alma. Lake est pudique sur ce genre de chose, en revanche, il n'a jamais été aussi attentif que quand je parle de toi. Un vrai premier de la classe !

— Et tu parles souvent de moi ?

— Maintenant que j'y pense, oui, je parle souvent de toi, surtout quand il est là. Putain, l'enfoiré ! Il me manipule, le con !

J'éclate de rire, mais au fond de moi, je sautille dans tous les sens, beaucoup trop heureuse de savoir que Lake essaie, à sa manière, d'en savoir plus sur moi.

Little CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant