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Lake

Présent

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Alma Blunt a pratiquement élu domicile dans le local numéro 503. Pour faire court, le cinquième étage est en forme de L, et mon bureau se trouve dans l'angle. Et pour faire encore plus simple entre l'ascenseur et mon repaire, il y a une ligne droite se composant d'un hall d'entrée, du bureau de Paul et d'une pièce vide juste en face. Le bureau numéro 503. Le reste des bureaux est réparti autour du couloir, de l'autre côté. Donc c'est facile, depuis mon fauteuil, j'ai une vue parfaite sur ce foutu bureau numéro 503 !

Lundi dernier, elle a débarqué, joliment habillée, avec cette veste à rayures que j'avais déjà eue l'occasion d'apercevoir et ses pantoufles rouges que j'adore. Non, qu'elle adore. Mais ce qui m'a fait débander aussitôt, c'est le ridicule chignon tiré à quatre épingles qu'elle portait au sommet de son crâne. En ce qui concerne les lèvres assorties à ses chaussures, j'étais partagé. Ma queue oscillait entre l'envie d'y plonger et celle de s'enfuir. Finalement, on est tombé d'accord et on n'aime pas.

Je n'ai pas pigé tout de suite ce qu'elle faisait ici. D'abord, je l'ai aperçue parler avec Paul et j'ai cru qu'elle venait pour me voler mes voitures. Ensuite, lorsqu'elle m'a totalement ignoré, j'étais agacé. Comme si elle voulait me narguer. Puis, quand je l'ai vue s'enfuir dans le bureau de Benjamin – Benjamin du cinquième ! – je n'en ai rien eu à faire. Non, c'est faux, putain, j'étais jaloux !

Le lendemain, en m'engageant dans le couloir, je l'ai aperçue de l'autre côté du mur de verre, au milieu du bureau 503. C'était donc pour cette raison qu'elle a rendu visite à Benjamin. Cependant, je n'ai pas compris pourquoi elle était là. Elle a passé la journée à installer des films occultant sur les vitres, rendant son bureau du tout au tout aveugle. Je l'ai ensuite observée sortir de sa pièce pour peindre sur les parois, depuis l'extérieur.

Alma a esquissé, à l'aide d'un pinceau rond, des lignes noires, tout en courbe, venant animer avec vivacité les fenêtres opaques. Au centre de la porte, elle a habilement tracé les mots, Quartier Général C-03. Puis, en dessous, à l'instar d'une signature, elle a inscrit, Paper Planes. Et là, j'ai souri comme un idiot, car je sais que c'est le titre d'une chanson de General Crush.

Mercredi, en passant devant son quartier général, j'ai pu déchiffrer une nouvelle inscription longeant la courbure d'une ligne. Une citation : « T'oublier, revivre et rêver ». Je n'ai pas mis longtemps à retrouver le poème dont ces mots sont extraits, ce poème que j'ai lu il y a peu.

Chaque jour, Alma est parvenue à éveiller ma curiosité, alimenter mon intérêt et attiser mon agacement. Car, depuis qu'elle passe ses journées au cinquième, j'ai un mal fou à me concentrer. Je guette tous ses déplacements, tous les changements qu'elle apporte à sa fresque, toutes les discussions qu'elle a avec Paul en partageant un café.

Jeudi, alors que je sortais déjeuner, je suis tombé sur elle, accompagnée d'un homme que je n'aurais jamais pensé croiser ici. Luis. Il était étrangement apprêté et avait encore les cheveux mouillés, comme s'il venait de prendre une douche dans les vestiaires. Je l'ai salué et il m'a expliqué qu'il était en mission pour Alma. Enfin, plus précisément, il l'a appelé Mademoiselle Evans. Mademoiselle Evans, putain !

J'ai cru m'étouffer tandis qu'elle l'a joué cool, avec toute la désinvolture dont elle est capable. Pendant une fraction de seconde, je me suis demandé si elle avait prétendu être ma femme pour obtenir tous ces privilèges auprès de Benjamin. En définitive, j'ai capté que Luis le désignait par les noms des champions du Tour de France et d'autres compétitions. Je ne sais plus si je dois encore me surprendre par quoi que ce soit qui touche Alma Blunt. Je les ai observés toute la journée en train de faire des allers-retours, les bras remplis de nombreux cartons en tout genre, de caisses en bois pleines d'objets non identifiés et j'en passe.

Little CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant