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Alma

Présent

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Je pousse la porte du groupe Yumi depuis vingt-trois matins, je travaille sur mon profil, j'active mon réseau et je passe des entretiens depuis vingt-trois longues journées, mais rien. Tous les jours se ressemblent, chaque lettre de motivation que je rédige me fait l'effet d'une mascarade, car pour être honnête, plus rien ne m'enthousiasme. Les mots perdent leurs sens et j'en reviens à tout remettre en question.

Ma rupture conventionnelle a été acceptée et dès la semaine prochaine, mon contrat sera officiellement caduc. Mais je me sens lasse. Certes, je ne suis pas en colère comme je l'étais chaque jour depuis un an, mais je ne suis pas heureuse pour autant.

Parfois, quand je raccroche après un entretien téléphonique, je me sens dans mon bon droit. Je suis fière de moi, heureuse d'avoir défendu mes intérêts et mes valeurs. J'ai dès lors un sentiment de légitimité et un regain de motivation.

D'autres fois, je doute. Je me demande si je ne suis pas trop exigeante, si je ne devrais pas faire des concessions, si je ne devrais pas prendre sur moi. Alors, je culpabilise. Pour deux raisons. La première, car je sais que j'ai tort de douter de moi. La seconde, parce que je crains d'échouer et de ne pas réussir à rebondir.

Là, tout de suite, je suis plutôt dans cette phase-là. J'ai eu un entretien ce matin et j'ai réalisé que la situation m'échappait. Tout ça, car j'ai commencé à élargir mes recherches. J'ai percuté à cet instant, que j'avais postulé de moi-même, à un poste qui ne me convenait pas, rien qu'en lisant le descriptif.

Ma peur, d'être à l'arrêt me fait dérailler. Et non seulement, je perds mon temps, mais en plus, je fais perdre du temps aux autres. Je passe en revue les dernières annonces, je vérifie mon tableau de bord, mes réseaux, les derniers articles et j'en viens à conclure que là tout de suite, dans l'instant, je suis bloquée. Je ne peux plus agir et je n'aime pas ça.

— Hey ! Qu'est-ce qu'il se passe ? lance Will en décrochant son téléphone.

— Je m'ennuie, je ne peux plus avancer sur rien, je ne sais pas quoi faire d'autres qu'actualiser ma boîte mail chaque nouvelle minute.

— Détends-toi.

— Je ne sais plus faire, Will. Et je ne sais pas quoi faire alors qu'il est dix heures du matin. Enfin, une seule chose peut-être. Je suis à deux doigts de faire une crise de panique, putain !

— Wow ! Je suis désolé, mais je suis en réunion, je devrais finir dans deux heures...

— Plutôt trois, corrige une voix au loin.

— Plutôt...

— C'est bon, j'ai entendu, marmonné-je en raccrochant.

Me détendre. Que font les gens pour se détendre, ici ? Je range mon ordinateur dans mon sac, je me sers un verre de jus d'orange et je commence à parcourir la salle des yeux. Je suis dans la partie coworking, alors les gens ne se détendent pas, ils bossent. Et pas moi !

— Détends-toi, gnagnagna !

*

Finalement, je fais ce que je n'ai pas le droit de faire, mais tant pis, je vais m'enfoncer dans l'un des canapés, je retire mes escarpins jaunes et j'étale mes pieds parés de chaussettes en plumetis noires sur la table basse. J'attrape un bouquin dans l'étagère derrière moi et je commence à lire en l'ouvrant au hasard. J'en suis au cinquième extrait quand on m'interpelle.

Little CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant