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Alma

Présent

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Je me redresse au moment où il fait claquer sa paume contre le mur.

— Tu n'as aucun droit de me poser cette question, Alma Blunt ! dit-il d'une voix grave et pleine de rage.

Je ferme les yeux et je me remémore la façon dont Cath m'a pris dans ses bras, l'émotion qu'elle a ressentie quand je lui ai offert cette balise pour que jamais elle ne perde ses précieuses clefs. Cette joie si pure, ce bonheur simple et spontané. Et le souvenir que ça a éveillé en moi.

 J'ai six ans, je grimpe dans les combles et j'ouvre une grande malle en osier. Un coffre rempli de trésor. J'attrape une petite voiture et je commence à jouer avec. J'en trouve d'autres et je fabrique un circuit dans le grenier.

Puis, mon père arrive, aperçoit la malle et s'écroule sur le plancher en pleurant. Je le vois fouiller de partout au sol, chercher les petites voitures éparpillées, les compter frénétiquement. Je l'entends me disputer et je ne comprends pas.

Je saisis seulement la peur qu'il ressent. La peur insensée de perdre l'une de ses petites voitures. Comme si elles étaient plus importantes que tout au monde.

J'essuie les larmes sur mes joues, juste avant qu'il ne se retourne. Je retiens mon souffle, je refuse qu'il me voie aussi vulnérable. Lui semble si froid, si distant. Et furieux. Il avance vers moi et plante ses yeux noisette dans les miens. Comme toujours, quand il fait ça, je me sens prise en piège. J'ai l'impression qu'il peut lire toutes mes émotions dans mon regard, qu'il peut tout savoir. J'ai le sentiment de perdre. Encore et toujours.

— Lake..., murmuré-je

— Merci d'avoir pris soin de ma mère, Alma.

Il lâche ça comme une bombe, d'une voix presque douce, et s'enfuit en courant. Je mets une bonne minute avant de comprendre ce qu'il vient de se passer, avant de réagir et avant de sentir la colère qui envahit toutes mes pensées. Je sors à toute allure du vestiaire et je vois les portes de l'ascenseur se refermer derrière lui.

— Fait chier !

Je m'élance dans l'escalier sans savoir où il va. D'ailleurs, putain, je ne sais toujours pas ce qu'il fout ici ! Est-ce qu'il va retrouver Will ? Peut-être qu'il est encore dans son bureau. Puis, je me souviens que sa mère a dit qu'il était le directeur. Merde ! Est-ce qu'elle avait raison ? Au cinquième, il y a aussi la direction, avait dit Will.

Je tente ma chance et je monte, toujours plus haut. Je déboule dans le couloir plongé dans le noir et un bureau s'allume au fond. Je continue, essoufflée et enragée.

— Bordel de merde !

Je me retrouve les deux mains au sol, pour maîtriser ma chute. Je défais mon escarpin que je balance contre le mur.

— Putain de chaussures à la con !

Je retire la deuxième, tout en trottinant. Je parviens enfin devant sa porte, et je ne lui laisse pas le temps d'agir. J'entre et je fonce sur lui, le menaçant avec mon talon tout court et large. Pas du tout dangereux, sauf pour mes chevilles. Mais on fait avec ce qu'on a !

— Tu sais où tu peux te les mettre, tes remerciements minables. Si ça avait été, n'importe quelle autre femme, si j'avais passé la journée avec la mère de Benjamin du cinquième, si tu m'avais vu tricoter avec elle, rigoler, déjeuner, discuter et sauter en riant avec elle, jamais tu ne te serais montré gentil avec moi, Lake ! Jamais.

Little CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant