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Alma

Présent

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Premier jour.

Je me réveille, courbaturée. Je me redresse, et voilà. J'émerge, assommée. Putain, pourquoi faut-il que les placards ne grandissent pas en même temps que les êtres humains ? Ils pourraient se nourrir des fripes qu'on leur fourre dans le ventre à longueur de journée, non ? Mes cheveux s'emmêlent dans les cintres et je n'ai même pas la force de grogner. Ça fait des années que je n'ai pas bu d'alcool. Mon corps n'est pas habitué, il aurait dû vriller à la première gorgée, pourtant ce n'est pas le cas. C'est définitivement la chose vivante qui m'a trahi le plus de fois dans ma vie. Mon corps, incluant mon cerveau défaillant. Pourquoi faut-il que les seules heures que j'ai besoin d'oublier se gravent aussi durement en moi ? J'ai l'impression qu'elles sont taillées directement dans ma boite crânienne et martelées dans mon cœur.

Finalement, mes cheveux ne sont pas si embrouillés, le cintre s'échoue au sol par lui-même. Apparemment, je ne suis pas si assommée qu'il y paraît, puisque mes pensées hantent toujours ma tête. Et puis, il semblerait que mon corps ne soit pas tellement courbaturé, étant donné que je viens de trouver une position confortable, sur la couette roulée en boule et entreposée au fond de mon armoire. Je devrais me rendormir. Peut-être bien que ça marchera une seconde fois. Que si je reste prostrée là, à sangloter, à paniquer, à tomber, peut-être que Lake va ouvrir la porte, qu'il marmonnera des mots, qu'il ébouriffera ma tignasse, qu'il sera flanqué d'un bonnet presque rose et qu'il trouvera le moyen d'effacer tout ça en me faisant rire.

Deuxième jour.

C'est tout de même mieux. Je devrais songer à installer une armoire dans la salle de bain. Au moins, depuis cet endroit, je n'ai pas besoin de sortir. Je peux utiliser les toilettes et boire au robinet. Il parait qu'on doit seulement s'hydrater pour survivre. Et puis ce n'est pas comme si j'avais un boulot. Je peux rester là, planquée dans la salle d'eau, à figer le temps, indéfiniment. Je devrais songer à refaire la pièce, pour que je puisse accéder au lavabo, tout en demeurant assise sur les WC. L'architecte qui a conçu mon studio parisien était un génie. Un surdoué au cœur brisé, sans aucun doute.

Cinquième jour.

J'ai la bouche pâteuse. Iris s'est amusée à couper l'eau il y a quelques heures. J'ai soif, putain ! Et puis, je ne saurais dire depuis quand elle a coupé l'électricité. C'est ridicule, elle pourrait se comporter comme une adulte, ou une demi-adulte, au minimum. Ce qui m'agace le plus, c'est que mon téléphone est tombé en rade peu de temps après. Je suis obligée de sortir de cette pièce, si je veux pouvoir continuer de flinguer mes neurones sur des applis à la con, pour m'occuper l'esprit. Lire, jouer, signer des pétitions, regarder des avions survoler la carte du monde en temps réel, me permet de ne plus penser à ces mots qui m'obsèdent.

« La fille du printemps de mes dix-neuf ans. »

Putain de bordel de merde ! Je te déteste Iris. En m'extrayant de mon trou, je constate que le soleil brille beaucoup trop. Et puis si j'en crois la note sur le réfrigérateur, ça fait cinq jours, qu'un tsunami nous ont ensevelies, moi et mes certitudes. Je vacille. Je suis faible. Je suis affamée. J'ouvre la porte en inox, je m'empare d'une bouteille de chantilly, et au radar, je file dans ma chambre. Je me laisse tomber sur le matelas avant de fourrer l'extrémité du siphon dans ma bouche.

Sixième jour.

Je pourrais dire que je me réveille, mais je n'en suis pas sûre. Non, le plus juste serait de dire que je me décolle de l'oreiller avec difficulté. Putain, quelle idée de faire une overdose de chantilly dans son lit ! J'en ai partout. Mes draps sont souillés, mes cheveux sont sucrés et je ne parle même pas du reste. Putain de Lake Evans ! Tout ça, c'est sa faute. Jamais je n'aurais de la crème fouettée dans mon frigo s'il ne m'avait pas donné envie de le croquer à la sauce chantilly. Prise de folie, je défais mes draps à la hâte, je roule le tout en boule, que je fourre dans un sac-poubelle. Puis, je quitte mon appartement sans un regard en arrière. La seule chose à laquelle je pense, c'est que je vais lui faire bouffer. Un jour, il croise ma culotte. Plus tard, il me baise. Ensuite, il m'oublie. Tout ça, à cause d'un putain de gâteau. À tous les coups, il devait y avoir de la crème fouettée sur ce brownie au cannabis. Un être humain vivant ! Tu parles, un toxicomane prêt à tout pour une ligne de sucre !

Little CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant