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Lake

Cinq ans plus tôt

~

J'arrive tout juste de Londres. Je viens de traverser tout Paris, de prendre quelques métros et un train de banlieue, en pleine heure de pointe en plus. Mais la jolie gare en pierre, celle que j'aime le plus, se dresse juste devant moi. Je n'ai pas revu mes parents ni Will depuis des mois. J'ai tellement hâte de les revoir que je dérape en courant sur le trottoir. Quand j'arrive enfin chez moi, mon père n'est pas encore là et ma mère m'étouffe dans ses bras.

— Tu as encore grandi, Lake ! râle-t-elle en ébouriffant mes cheveux.

— J'ai arrêté de grandir quand j'ai eu dix-huit ans, si ce n'est avant, maman.

— Quand tu avais dix-huit ans, tu ne vivais pas dans un autre pays.

— Si, je venais de partir pour Plymouth.

— Fais donc un peu semblant de comprendre ! Tu manques à ta mère et j'ai le droit de me plaindre.

— Je suis devenu tellement grand que je peux compter tous tes cheveux blancs.

— Et moi, tes poils de nez.

J'éclate de rire et elle m'enfonce un bonnet jaune sur la tête. Un nouveau.

— Je t'ai aussi fait des glaces, de la chantilly, et même si je sais que ce n'est pas vraiment une fête, je t'ai quand même préparé un saladier de pop-corn au caramel et beurre salé.

— Je t'aime, maman.

— Forcément, quand il s'agit de négocier avec du sucre, houspille-t-elle.

Un bol de crème fouettée plus tard, je saute par-dessus le muret et j'atterris dans le jardin de Will. L'un de mes endroits préférés. Et celui que je déteste. D'une certaine manière, je suis plutôt content que Will quitte le foyer familial pour le sud. Je viendrai toujours chez mes parents, mais plus dans ce jardin.

Je passe devant la serre, je me faufile entre les arbres, la tête enfouit dans ma parka et j'aperçois la maison des Lang. Je cours jusqu'à la porte du fond, et je la vois. Putain, je ne savais pas qu'elle serait là aussi ! Je suis venu pour aider Will à emménager dans son appartement à Bordeaux. Lui et moi. Riley n'a pas pu se libérer. Alors, c'est juste nous.

On charge le camion, on roule et on vide. Puis, on profite de notre week-end, il y reste et moi, je reprends le camion. Je le ramène à Paris, avant de retourner en Angleterre. Dans le plan, jamais il n'est question d'Alma. Oh, putain, j'espère que ce n'est pas une camionnette avec trois places à l'avant ! Alma ne peut pas venir. D'ailleurs, qu'est-ce qu'elle fabrique ?

Elle est là, seule sur la terrasse. Elle porte un t-shirt blanc, un jean et des baskets. Elle est allongée sur un transat, les yeux clos. Elle semble profiter d'un rayon de soleil qui vient caresser son visage. Le tout sous une pluie torrentielle  ! Cette fille est incroyable. L'eau paraît lui couler dessus comme si de rien n'était, comme si elle ne s'en rendait pas compte. Sait-elle même qu'il pleut ?

À l'abri du perron, je l'observe bien trop longtemps à mon goût, mais voilà, son t-shirt remonte un peu et me dévoile la peau sucrée de son ventre. Rien que ça, c'est comme enfoncer mes chaussures dans du béton frais. Immobilisation assurée. Mais ce n'est pas tout. Je pourrais évoquer ses seins parfaitement visibles à travers l'étoffe blanche devenue transparente, mais non. En plus de son ventre moelleux, ce qui me remue le cerveau, c'est l'eau qui coule de ses cheveux le long de son cou, comme un petit ruisseau. Je voudrais promener ma langue dessus. Et ça ne retourne pas que mon esprit. Maintenant, je ne peux plus dire que je suis simplement là, en train de l'observer, parce que clairement, je la mate et je me sens durcir.

— Je te déteste, murmuré-je à ma bite avant d'entrer.

En passant devant la salle de bain, j'entends le bruit de la douche, alors je monte dans la chambre de Will. Je remarque que la plupart des cartons sont bouclés et vu l'écriture scripte majuscule qui orne les boîtes, je sais que ce n'est pas Will qui les a remplis. Pas tous, du moins. J'erre littéralement dans cette pièce, tentant de chasser les trop nombreux souvenirs que j'ai forgés ici. Cette chambre va me manquer.

Les poutres contre lesquelles je me cogne tout le temps quand j'ai trop bu, le canapé-lit qui grince, la console de jeu des années quatre-vingt-dix qui bousille les yeux, les tas de bouquins empilés contre les murs, les soirées à refaire le monde, la petite culotte d'Alma.

— Faut que je lâche prise...

Je repère ensuite son sac à dos, celui d'Alma, celui avec une tonne d'écussons vintage, de groupes de musique et cette inscription qui évoque l'éphémère et l'éternité. Tiens, d'ailleurs, on dirait qu'elle a brodé par dessus. Il me semble particulièrement plein, comme si elle partait tout un week-end. À ce moment-là, je comprends qu'elle va véritablement venir avec nous.

Ça ne peut plus durer. Il faut qu'on parle, qu'on trouve une solution pour cesser de se détester. Il faut que je lui pardonne ou au moins que j'oublie. Il faut que j'arrête de bloquer sur cet épisode. Ce n'était que ma putain de virginité après tout. La plupart des gens ont trop bu, et oublient même leur première fois. Et de toute façon, une première fois n'a rien de mémorable. Putain, c'est mon enfer personnel ! Non seulement, je m'en souviens, mais je n'ai encore jamais rien connu d'aussi incroyable. C'était légendaire. Mais ça ne peut pas durer, je dois lâcher prise, me montrer courtois et laisser ma rancune de côté. Au moins, pour Will.

— Alma, il faut qu'on parle ?

Je ris tout seul tellement cette phrase est cliché. Je peux faire mieux. J'ai étudié la littérature, j'ai même secrètement commencé un roman, je dois être meilleur. « Alma, j'ai besoin de te parler. Alma, j'aimerais comprendre comment on a pu en arriver là ? Alma, est-ce qu'on pourrait discuter ? Alma, j'adorerais trouver comment te faire sourire. » Putain, Lake ! « Je voudrais t'entendre rire. Je rêve de t'écouter me parler de nouveau. J'ai juste envie que tu fasses partie de ma vie, Alma. » Ça suffit !

— Alma, j'ai besoin de te parler, décidé-je finalement.

Je m'élance dans l'escalier, en le répétant en boucle dans ma tête, mais quand je la vois, je perds tout contrôle.

— J'ai envie de toi, putain !

« Oh, le con ! Est-ce qu'elle m'a entendu ? Merde, mais qu'est-ce qu'elle fout en sous-vêtements ? Elle veut me tuer. Elle souhaite m'achever, c'est évident. Elle n'acceptera jamais de me parler. Non, mais regarde ce corps, Lake ! Non, surtout pas ! »

Les pensées se bousculent et je n'ose pas bouger de peur qu'elle aperçoive ce que j'espère lui cacher. Ma bite en érection. Je respire profondément, faisant appel à tout le self-control dont je suis capable. Trop peu. Je parviens tout de même, à descendre les marches, glissant mes mains dans mes poches, tentant de camoufler ainsi mon trouble. Plus je m'approche d'elle, plus je me dégonfle.

Dans mon crâne, les « Alma, il faut qu'on parle » se transforment mollo en « Lake, il faut que tu parles ! ». J'ai beau m'inciter à parler, à me flageller mentalement, à me menacer des pires morts possibles, je ne réussis pas à dire un simple « bonjour », je n'arrive pas à grogner un « hey », ni même à esquisser un sobre mouvement de tête. Je suis juste en train de flipper comme un dingue. Et elle ? Elle me regarde avec aplomb tandis que je me défile. Elle reste là avec fierté, comme si la seule chose étrange ici, c'était moi et pas elle, nue dans l'entrée.

Je lui passe devant, je crois bien que je ne respire plus. Et quand enfin, j'atteins la cuisine, j'ouvre la porte du frigo pour vomir dans le bac à légumes, tout en tapant les clayettes en verre pour couvrir ma honte.

« Alma, j'aimerais ne jamais avoir ouvert les yeux, ainsi, je ne les aurais jamais posés sur toi, ta culotte et ta douce folie. Alors, je ne serais peut-être pas aussi fou et désespéré, car je ne serais sans doute pas tombé désespérément fou amoureux de toi. »

Little CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant