Little Crush

31°

Lake

Présent

~

Je suis le premier à arriver. Déjà, ma mission était des plus simples. Ensuite, je reconnais avoir couru à l'aller, comme au retour. J'ai même opté pour l'escalier, espérant endiguer quelques secondes le flux émotionnel qui m'assaille, poussant mon corps dans ses retranchements.

Étonnamment, le deuxième à avoir accompli sa tâche est Riley. Il surgit du bout de la rue, galope, s'élance et se laisse porter par le caddie, avant de pousser avec le pied. Cela pourrait sans doute être cool, un genre de skatecaddie, que j'adorais faire dans les rayons du supermarché. Pour autant, m'essayer à cette pratique dans une avenue pavée me botte moyennement. Les grilles métalliques tremblent si fort qu'un boucan sans nom résonne dans la nuit.

Et enfin, Will. Il arrive d'un pas vif, l'air alerte, muni d'une caisse à outils rouge et lourde, si j'en crois sa posture. Il porte deux autres mallettes bleues, la première dans la main gauche et la seconde sous le bras. Je lui enfonce un bonnet orange sur son crâne avant de l'aider.

— Je ne savais pas de quoi tu avais besoin, alors j'ai aussi apporté ma perceuse et ma disqueuse.

— Parfait, ça sera sûrement utile.

— Hum, cool ! Où est-ce qu'on va maintenant ?

— On est arrivé, dis-je en sortant mon badge.

— Eh merde, murmure Will, tandis que Riley pousse un cri de phoque.

Nous pénétrons dans les bureaux vides du groupe Yumi, notre barda entassé dans le caddie, et nos bonnets en laine sur nos têtes. Les gars m'accompagnent, l'air déterminés. Pourtant, ils ne savent pas ce qu'on s'apprête à opérer. Ils me suivent, uniquement portés par l'amour et la confiance qu'ils me témoignent. Je m'arrête un instant, les stoppant juste devant la porte suivante. Je m'attache à me souvenir de ce moment. Il est important, car même si j'ai envie de pleurer, je suis reconnaissant de les avoir avec moi, et surtout qu'ils eurent été présents plus tôt. Je ne suis pas certain, que je serais parvenu à me confier à eux. Après tout, je ne leur ai toujours pas parlé de ma mère.

— Will, j'ai besoin, que tu me promettes une chose.

— Ouais, tout ce que tu veux. Mais pourquoi pas Riley ?

— Parce que celui qui prend le plus de risque, c'est sûrement lui. Il n'a rien à faire dans cette entreprise au milieu de la nuit.

— Hum, je suppose que cela devrait me préoccuper, dit l'intéressé. Mais non, je suis encore plus partant !

— Moi, je suis inquiet, s'exclame Will. Putain, à quoi on joue, là ?

— Je ne devrais peut-être pas me contenter d'une promesse.

— Tu devrais lui faire signer un papier.

— Putain, les gars !

— Will, ce soir, j'ai besoin que tu oublies Monsieur Lang. Cette nuit, tu n'es plus le directeur de la rédaction de Masala Magazine, et encore moins à la tête du conseil d'administration du groupe Yumi.

— Ce n'est pas une bonne idée, Lake.

— Elle est sûrement brillante, tu veux dire ! se réjouit Riley.

— Il est impératif que tu sois seulement Will, mon meilleur pote, mon voisin, mon frangin. Est-ce que tu penses pouvoir y arriver ?

Il me regarde un long moment, puis il avise les outils qu'il a lui-même ramenés. Finalement, il chasse l'inquiétude de son visage, et un sourire intense illumine ses traits. Un putain de sourire de gamin qui s'apprête à faire une connerie monumentale. Le genre de sourire que j'ai vu mille fois sur sa frimousse lorsque nous étions enfants et tout aussi souvent quand nous étions ados. Il ajuste son bonnet, bascule sa capuche par-dessus et s'empare d'un petit marteau qu'il bascule sur son épaule massive.