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Lake

Présent

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Un foulard joliment noué autour de sa cheville foulée, le visage embrouillé sous mille émotions, le souffle court, ses chaussures dans une main et un parapluie menaçant dans l'autre, Alma me regarde avec ses grands yeux verts. Je ne sais pas comment expliquer ça, mais quand les portes se ferment lentement, j'ai la sensation de la laisser partir.

Comme si j'avais pu la retenir. Comme si j'avais pu l'atteindre. Comme si c'est elle qui s'était prise au piège de mon regard et pas l'inverse. Mais c'est toujours le contraire pourtant.

Je reste devant l'ascenseur, à attendre qu'il descende pour que je puisse l'appeler en retour et enfin rentrer chez moi. Mais le chiffre numéro cinq ne change pas. Au bout de longues minutes, je prends sur moi et je presse le bouton. Les portes s'ouvrent à peine que déjà, je commence à lui dire d'appuyer sur le zéro, mais je la trouve assise, ou plutôt recroquevillée à même le sol.

Les bras cerclant ses jambes repliées avec force. La tête enfouie entre ses genoux. Les cheveux masquant tout de son visage. Et son corps pris de soubresaut rythmé sur ses sanglots. Je l'entends renifler et suffoquer. Je ne suis même pas certain qu'elle m'ait entendu parler.

Je ne réfléchis plus, je refuse de la regarder pleurer. Je m'agenouille devant elle, et même contre elle. Mes mains glissent dans ses mèches en bataille et je tente de les maintenir en arrière pour voir son visage, pour trouver ses yeux. Ce geste, je l'ai déjà fait et ses cheveux s'emmêlent toujours autant dans mes doigts, mais ce que je ressens à cet instant n'est pas comparable.

Je trouve son visage, mais elle refuse de lever la tête vers moi. Alors je saisis ses joues entre mes paumes et je l'incite avec douceur à me regarder. Elle ferme les yeux de toutes ses forces et je me remémore toutes ces fois où j'ai fait pareil, quand personne ne pouvait me voir. Par simple peur de croiser son regard, par crainte qu'elle puisse lire mes émotions.

Je n'insiste pas, je lâche son visage qui se love de nouveau entre ses jambes et je rabats sa tignasse en avant. Puis, je m'assieds en face d'elle et comme je ne peux pas me cacher sous mes cheveux, je prends mon nouveau bonnet presque rose, je l'enfonce sur ma tête, le revers défait jusqu'au nez.

Au bout de longues minutes, j'ai l'impression que ses sanglots s'estompent un peu. J'aimerais trouver les mots ou les gestes pour l'apaiser, mais j'en suis incapable. Et surtout, je n'en ai aucun droit. Je voudrais joindre Will pour qu'il vienne l'aider, mais là non plus, je ne sais pas si je peux. Je ne le sais pas, car là, tout de suite, si Alma appelait Will pour lui demander de m'aider, je serais furieux. Je deviendrais fou.

Parce que Will n'est pas au courant. Parce que personne ne sait que ma mère est malade. Personne ne sait qu'elle sera peut-être morte avant mes trente-cinq ans. Personne ne sait à quel point cette idée me terrifie. Ne pas savoir, ne pas pouvoir agir, ne rien maîtriser. Alors même si je ne sais pas pourquoi Alma pleure, je sais encore moins comment l'aider.

— Mon père n'est pas mort.

Putain ! Pourquoi est-ce que j'ai sorti ça ? Je n'avais pas l'intention de parler et ce n'est certainement pas ça qui va la réconforter.

— Mon frère est mort, dit-elle aussi soudainement que moi.

Voilà, je suis un enfoiré ! Et le pire, c'est qu'elle n'ajoute rien. Je ne sais pas quoi dire. Est-ce que je dois être désolé ? Est-ce que je dois lui présenter mes condoléances peut-être ?

— Ma mère ne m'avait plus tricoté de bonnet depuis quatre ans.

C'est officiel, j'ai honte de moi ! Elle devrait m'achever à coup de parapluie. Elle pourrait même s'acharner sur mes parties, je l'encouragerai sûrement.

Little CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant