Chapitre 23 - Kane

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Ça fait maintenant quinze minutes que je cours sous la pluie battante entre ces branches et racines.

Je manque de tomber plusieurs fois en glissant sur des feuillages, je me prends des lianes dans la tronche, j'ai le souffle court et le rythme cardiaque au bord de la rupture : Laely est quelque part, seule sous cet orage, perdue et peut-être blessée....
Je préfère ne pas penser qu'il lui est arrivé pire encore. Pourtant avec les alligators ou les serpents, les humains ne sont pas les bienvenus dans cet environnement, on s'en est bien rendu compte depuis ce matin.

— LAELY?!
J'ai la sensation de chercher une aiguille dans une botte de foin. Elle peut être n'importe où.
Et si ça se trouve elle a rejoint le groupe depuis que je suis parti.
Une chance au moins que je sache le reste du groupe en sécurité.

J'ai réussi à les réunir dans un hangar désaffecté qui pourrissait à quelques centaines de mètres d'ici. C'est dégueulasse, plein de fientes d'oiseaux et de toiles d'araignée plus épaisses que des rideaux, mais au moins on sera à l'abri le temps de l'orage.
Mais il faut que je retrouve Laely avant de pouvoir penser à la suite de l'excursion.

— LAELYYYY?!
J'ai beau fouiller du regard dans tous les sens, je ne vois rien, et la pluie ne m'aide vraiment pas à m'orienter et à être efficace.
— Putain de bordel de merde !
Je suis absolument trempé jusqu'à la moelle, les cheveux dans les yeux et les sens en éveil . Je guette le moindre indice, mais il n'y a rien.
Même quand je m'arrête pour tendre l'oreille, je n'entends que le craquement sinistre de l'orage qui envoie sa foudre sur nous.

— LAAAEEELYYYYY...

Je hurle comme un fou, mais rien n'y fait. Aucune réponse. Jusqu'à ce que mes yeux aperçoiventdans tout ce vert grisâtre, un point jaune au sol.

Je cours comme un dingue vers ce que je reconnais comme étant un sac à dos de notre excursion.
— Laely ?
Une ombre fragile au sol.
— Bordel...
Je reconnais ses vêtements, pas de doute c'est elle. Je me jette à corps perdu sur les derniers mètres pour la rejoindre .
— C'est pas vrai... merde ... qu'est-ce qu'il s'est passé ?!
Elle ne bouge pas et mon cœur se fige.
"mon dieu, faites qu'elle soit en vie"
— Lyly... hey... tu m'entends?

Non loin je vois une branche fraîchement tombée d'un arbre foudroyé, je ne mets pas longtemps à comprendre ce qui s'est passé.
Lentement je relève les cheveux qui couvrent son visage posé contre le sol. Son corps ne présente a priori pas de blessure ouverte, mais on ne peut jamais sous-estimer les traumas internes.
Par réflexe je prends doucement son poignet pour m'assurer qu'il y a toujours un pouls, sans m'arrêter de lui parler.

— Hey princesse réveille-toi. On ne peut pas rester ici... réveille-toi Lyly...
Je caresse doucement sa joue et je vérifie qu'elle respire.
— Allez ma belle, réveille-toi, ne me fais pas ce sale coup!
J'hésite à lui tapoter la joue doucement, mais l'orage qui s'abat sur nous m'oblige à prendre une décision rapide.

— Allez viens par là..
Je la retourne le plus délicatement possible, puis je passe un bras sous ses genoux et le second sous ses bras pour la soulever et l'éloigner d'ici au plus vite.

— K...kane?
Je la tiens dans mes bras, comme on porte une mariée pour la nuit de noces. Elle ouvre ses grands yeux clairs et me dévisage, visiblement déboussolée.
— Chuuut tout va bien, je suis là...
Je tente de la rassurer dans un sourire, soulagé de la voir reprendre ses esprits.
— Les oranges!
— Hein?
— Mon sac! Les oranges!

Le sac fluo que j'avais repéré de loin gît sur le sol. Il est bombé comme s'il contenait des balles.
A contre cœur, je la repose par terre:
— Ça va tu tiens debout? tu as mal quelque part?
Elle chancelle un peu. Elle est trempée par la pluie, couverte de boue à cause de sa chute, mais malgré tout, une sorte d'élégance naturelle dans ses gestes, la rend sublime. Je la vois passer la main sur l'arrière de son crâne, (sans doute là où elle a été frappée par la branche) et elle grimace.
— laisse-moi voir...
Il y a effectivement une plaie qui saigne un peu, mais fort heureusement pas trop étendue.
— tu as mal?
Avant qu'elle n'ait eu le temps de répondre, je saisis mon spray désinfectant et cicatrisant dans mon sac pour pulvériser le produit sur sa plaie, et là, un autre éclair s'abat non loin dans une détonation d'enfer.

— Faut pas rester là. Viens.

Je prends son sac, je chope sa main, et nous voilà repartis à travers les buissons piquants, les racines casse gueule et les lianes qui s'agrippent à tout.
Je tente de garder à la fois un œil sur ma scroll'tab pour retrouver notre chemin, et en même temps sur ma coéquipière que je sens fragile sur ses pieds, on essaye d'avancer au plus vite pour rejoindre le groupe.
— ahhh !
Je me retourne un peu paniqué:
— Lyly, qu'est-ce qu'il y a?
La pauvre est à genoux dans la boue, le pied coincé dans une racine qui dépasse.
Rapidement je la libère de ce piège, puis je l'aide à se relever.
— Viens...
Alors je reprends sa main dans la mienne pour la guider, mais aussi et surtout pour me rassurer. J'ai besoin de la sentir près de moi, il faut que je la protège.
Sans doute est-ce l'effet de sa perte de connaissances qui ne s'est pas totalement dissipé, mais elle se laisse faire et me suit docilement. C'est pas pour me déplaire.

Après quelques minutes de progression rendue difficile par la pluie, on arrive enfin en lisière du bosquet. Le hangar où nous attend le groupe se situe droit devant à environ 200 mètres.
— Il faut traverser cette prairie . Les autres sont dans le hangar là-bas.
Je me tourne vers Laely pour vérifier qu'elle va bien et qu'elle est apte à courir.
Avec l'orage qui ne se calme pas, les éclairs qui tombent tout autour, la pluie battante qui rend la zone inondée...cette traversée va être compliquée.

— Il ne faut pas rester trop longtemps en pleine zone découverte comme ça. Tu te sens de courir?
Elle hoche la tête vaillamment. Cette nana donne l'impression qu'elle se relève de tout, que rien ne l'arrête et que quel que soit l'obstacle devant elle, elle a le courage de l'affronter quoi qu'il en soit.
Je crois que c'est le respect que ça m'inspire qui la rend aussi belle en fait.
— Je peux te porter si tu préfères...
— Non c'est bon.
Elle m'arrache presque son sac des mains, l'enfile sur son dos et s'élance à travers les hautes herbes de la prairie.

— Laely attends!

Elle détale comme un lapin, et je peine à la suivre dans ce marécage dont l'eau boueuse me monte jusqu'aux mollets.
Un nouvel éclaire zèbre le ciel non loin. D'instinct on baisse la tête et on s'accroupit sous la pression de la détonation.
Je tends la main pour attraper ses doigts:
— Lyly, attends...
Elle prend le temps de m'adresser un regard où je distingue à la fois de l'étonnement et de l'amusement.
Et la revoilà partie à bondir telle une sorte de biche élégante au milieu d'un décor de fin du monde.

Je ne peux réprimer le sourire qui vient se greffer sur mes lèvres à la vue de ce spectacle.
"Elle est cinglée."

Fly me to the Moon - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant