Chapitre 2.1

1.1K 127 112
                                    

¹ : -ie est un suffixe honorifique affectueux ou amical ajouté à la fin d'un prénom se finissant par une consonne.

_____

  

PDV Ethan



Mes yeux traînent sur la route, à travers la fenêtre teintée de la berline. La soirée se déroule à Manhattan. Je n'aime pas New York. Mes souvenirs de jeunesse sont là-bas, ceux de ma solitude avec.

Mon chauffeur n'ouvre pas la bouche, le contraire aurait été étonnant. Ma mère en revanche, m'abreuve de directives. Depuis trois jours, elle n'arrête pas, c'est à n'en plus finir. Mais je la comprends. Son fils va habiter sans elle dans un pays étranger et devoir diriger l'entreprise de son défunt mari à seulement vingt-ans, il y a de quoi être anxieux – bien qu'elle ne me montre rien.

― Si tu ne m'écoutes pas, ils prendront l'ascendant sur toi et t'écraseront comme un moustique, Suji... Ethan.

Elle peste contre elle-même pour son inattention. Au fond, je suis certain que me retirer nos origines la chagrine, mais ce n'est qu'un détail futile, dans toute cette histoire. Moi, j'aimais mon prénom coréen, mon vrai prénom. Il n'y a qu'à travers lui que j'ai connu l'amour et l'affection de mon père, lorsqu'il venait nous voir et que ma mère était souriante. Qu'à travers lui que j'ai pu vivre une enfance dans une famille aimante.

Quand mon père a choisi de remplacer Sujin par Ethan – mon deuxième prénom – afin de me fondre dans la masse à mon arrivée aux USA, j'ai perdu peu à peu mon identité pour devenir le successeur qu'il cherchait à façonner.

A son grand bonheur, j'ai pris tant ses traits que ceux de ma mère et la Corée ne se devine pas sur mon visage comme sur ceux de mes amis d'enfance. Balloté d'années entre deux pays, partagés entre deux nationalités, jeme suis perdu dans ma propre vie.

Grâce à la photographie et à mon petit boulot dans ce studio de Busan, je pensais que je m'étais enfin découvert, que j'étais enfin sur la voie de mon épanouissement. Tout ça appartient déjà au passé.

Aujourd'hui, je ne suis qu'une coquille vide, destinée à s'exhiber sous les feux des projecteurs. 

La voiture s'arrête et j'entends déjà le brouhaha de la foule dehors. Y-t-il tant de monde que ça ?

― Ethan ?

― Oui ?

Ses lèvres se froissent alors qu'elle me fixe avec émotion. Dans ses yeux, je lis les mots qu'elle ne prononcera pas, car les sentiments sont bannis dans notre famille depuis bien longtemps. Je constate que m'abandonner loin d'elle la déchire plus que je ne le pensais...

Sa bouche s'entrouvre quelques secondes, puis se referme et elle se contente de tapoter mes cheveux, déjà impeccablement coiffés en arrière, tel un jeune homme de bonne famille.

― Ecoute bien ta tante Gilliane, d'accord ? Et n'oublie pas, plus un mot de coréen.

― Ne t'en fais pas, j'ai bien appris mes leçons de ces derniers jours.

Je lui souris et prends sa main dans la mienne.

― Tout ira bien.

― Je sais... Tu as toujours été un bon garçon. Un trop bon garçon, Sujin-ie¹... murmure-t-elle d'une voix émue. Si quelque chose de grave arrivait, n'oublie pas de m'appeler.

Elle retire sa main et tourne la tête vers sa vitre pour cacher les larmes qui pétillent dans ses yeux et s'apprêtent à rouler sur ses joues.

― Vas-y, maintenant. Tout le monde t'attend.

Double jeu (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant